dimanche 27 décembre 2020

PLEINE LUNE de Antonio Muñoz Molina


 LIVRE***

Molina est sûrement un des grands écrivains espagnols contemporains.Son polar "Pleine Lune" a obtenu le prix Femina étranger en 1998.Et donc ma première lecture date d'il y a 20 ans.J'avais oublié l'intrigue et la relecture a ressemblé à une découverte.

Quelle plume!!!....Quel roman!!! ...époustouflant de maîtrise narrative et de profondeur humaine.C'est bien ce que l'on nomme un"Thriller psychologique".Un inspecteur récemment arrivé dans une ville du Sud de l'Andalousie est à la recherche d'un meurtrier qui a sauvagement assassiné une fillette.Il arpente les rues,les parcs,les sorties d'écoles,les coins reculés,espérant croiser le regard criminel qu'il pense reconnaître parmi tous.

"..Il cherchait des yeux un visage qui serait le miroir d'une âme embusquée,un miroir vide qui ne reflétait rien,ni le remords ni la compassion,peut-être même pas la peur de la police..." p14

Et donc il y a bien une enquête avec les recueils de témoignages,les pistes trop rares,les rebondissements aussi...mais surtout c'est plein de réflexions sur la vie,la destinée,l'amour,la complexité de l'âme humaine,car l'inspecteur qui a vécu dans cette ville,enfant, retrouve un prêtre devenu vieux avec lequel il regarde des photos anciennes ou récentes (espérant y voir ce visage criminel) et auquel il se confesse? se confie (Chapitre vraiment bouleversant que ce chapitre 26 où un être fait les comptes,s'analyse,regarde sa vie avec lucidité,sans indulgence ...)

C'est un être tourmenté,incapable d'être heureux,alors qu'un nouvel amour se présente à lui.Il y a du Dostoïevsky dans ce roman tendu à l'extrême.Les digues se rompent.On suit différents personnages dont l'assassin à la vie misérable,minable,lui qui vit chez ses parents qu'il hait,qui le dégoûtent...Terrible chapitre 20 où le lecteur découvre ce jeune homme chez lui,ensuite dans sa folle entreprise.C'est écrit dans un style incroyable,prenant,terrifiant et aussi flamboyant.

Une lecture que je recommande donc vivement pour sa densité émotionnelle,sa fine analyse psychologique,la brillance de son style. 

Voici la critique de 2008 publiée par  "CritiquesLibres.com":                                                                                                                                                                                       Si je devais partir dans une lointaine île déserte et qu'il me fallait choisir UN SEUL roman... c'est bien "Pleine Lune" de Munoz Molina que je prendrais avec moi... 

A partir d'un "fait divers" abject (cela nous rapproche d'autant plus de la narration parce que c'est justement du "quotidien") l'auteur nous livre un récit époustouflant qui nous atteint au ventre et nous échappe de la raison. C'est là, à mon avis, l'Art du Roman. Le Lecteur devient alors "prisonnier" du récit et ne sait plus s'évader de la trame. Attention, coeurs sensibles s'abstenir : l'histoire est terrifiante par son réalisme. Munoz Molina fait partie de cette élite d'écrivains qui savent séduire. 

Comme Italo Calvino, Saramago ou Faulkner. Incontournable donc. Munoz Molina est né en 1956. En 1996, il devient membre de la " Real Academia de Lettras " et a obtenu plusieurs grands Prix littéraires dans son pays, ainsi que le Prix Femina en France pour son roman " Pleine Lune ".



jeudi 10 décembre 2020

Revenir à Vienne de Ernst Lothar


LIVRE

Nous sommes en 1946,l'heure pour le héros de ce récit,exilé depuis 8 ans à New York de regagner sa chère patrie,l'Autriche et Vienne,ville chérie de son enfance.Après l'euphorie du départ,la traversée en paquebot vers l'Europe,c'est le contact brutal avec une Europe en ruines.Au Havre,ensuite à Paris et l'arrivée à Vienne défigurée,méconnaissable.

A l'emballement,à l'excitation toute juvénile,succèdent la désillusion,le constat de réalité,la déception.Bien sûr,il marche à nouveau dans les rues de Vienne,il passe devant l'Opéra,retrouve le Volksgarten où enfant,il jouait au ballon devant la statue du poète Grillparzer( p157:"...il devait y avoir des roses en fleur à droite et à gauche...il s'arrêta devant les rosiers qui fleurissaient plus abondamment que jamais,et il respira à pleins poumons le parfum du souvenir") mais les quartiers sont dévastés et la belle cathédrale Saint-Étienne a été bombardée:"Les visages étaient maigres et hostiles,les maisons misérables ou en ruine,tout était infiniment gris." Même au cimetière, la tombe de son père a disparu,l'emplacement vide.

De même,une ambiance délétère règne chez les gens.Méfiance,rancoeurs,suspicions,voire règlements de compte sont au programme.Ils se déchirent,tous sont à fleur de peau.Les Viennois privés de tout sont soupçonneux,envieux vis-à-vis de ces exilés revenus au pays,apparemment en forme et nantis et que dire des familles dont les leurs ont été gazés par les Nazis.C'est terrible.

Dès lors,la jeune fille retrouvée,amour de sa jeunesse et restée à Vienne n'a-t-elle pas collaboré?n'a-t-elle pas été complaisante avec les Allemands,voire plus?C'est en tout cas ce que certains soupçonnent.Ce retour au pays natal,à Vienne commencé sous les meilleurs auspices se révèle de plus en plus problématiques et douloureux.

Le récit date de l'après-guerre.L'écrivain,proche d'Arthur Schnitzler et Stefan Zweig s'est inspiré de sa propre expérience.La traduction en français est récente:2019.L'écriture est d'une grande modernité,elle est légère,alerte,avec des passages pleins d'humour,de dérision (p64:"On trouverait bien le moyen de venir à bout de ces petites cicatrices blanches du visage...on était bien venu à bout d'Hitler..."!!!) et bien sûr,les thèmes et les leçons du passé ne peuvent qu'éclairer notre présent et notre avenir.