samedi 27 mars 2021

SERGE de Yasmina REZA


 LIVRE

Serge est le frère du narrateur Jean,ils ont une soeur,Nana.Voilà,les présentations sont faites,celles de la famille Popper dont l'auteure nous fait vivre les tribulations,mésententes,complicités...sur un mode doux-amer.L'humour est au rendez-vous,un humour parfois grinçant,mais si efficace.La figure centrale,c'est Serge,Serge le jamais content,l'éternel rouspéteur,donneur de conseils devant l'éternel et furieux quand on ne les suit pas.Il recommande notamment son neveu Victor à un grand restaurateur,mais celui-ci n'en a cure;d'où fureur de l'oncle.Certains passages sont vraiment folkloriques,drôles,surtout lorsque la famille juive à l'initiative de Joséphine,fille de Serge,décide de se rendre à Auschwitz,sur les lieux  de l'extermination...Devoir de mémoire,voyage hautement symbolique qui tourne vite en épisode de tensions entre les 2 frères et la soeur.Serge ne fait rien comme les autres,il refuse certaines visites,lance des piques à sa soeur qui le prend mal,très mal.Bref,c'est tendu,très tendu et ce qui devait les unir dans une démarche motivante tourne au fiasco,voire à la grosse farce.L'un boude,l'autre s'enferme dans le mutisme et les tentatives du narrateur pour rabibocher et ressouder la fratrie échouent.Le récit se lit avec plaisir,comme une délicieuse sucrerie,car le style reste léger et attractif,de bout en bout.Quelques phrases que j'ai annotées:

Sur les échecs:"Le roi des jeux et le jeu des rois."p82.

Un personnage redoutant Alzheimer dit ceci à un autre:"Quel organe va lâcher en premier?C'est le suspens."p74.

"Et pour marquer le coup et salir en passant la mémoire de la famille maternelle,il ajoutait,sachez qu'il n'y a pas plus honteux qu'un juif honteux!"p40.

 

 

lundi 15 mars 2021

L'AMI de Tiffany Tavernier


 LIVRE

C'est le passage de Tiffany Tavernier à la Grande Librairie en janvier qui m'a donné envie de découvrir son roman...surtout la fin de son propos où elle évoquait l'incapacité de son héros à faire passer ses émotions,son ressenti (le lien en bas de page***).

Son héros,c'est Thierry et "L'Ami" ,c'est le voisin Guy avec qui des liens se sont créés depuis plusieurs années:liens de voisinage,d'amitié même entre eux,entre les couples.Ils s'entraident ,s'invitent,nourrissent un intérêt commun pour les insectes...Bref,d'habituelles bonnes relations de voisinage quand un matin,c'est le coup de tonnerre:des voitures de flics entourent la maison,des hommes casqués/gilets pare-balles circulent,on lui demande de ne pas se montrer...c'est la sidération, le choc.Que s'est-il passé? Thierry,comme souvent dans de tels faits divers, n'a rien vu venir et découvre l'impensable.

Au fur et à mesure des heures,des jours,il va réévaluer des faits,des moments,des détails comme le prêt d'une bêche ...etc avec un regard neuf et ravageur.Non,il n'a rien vu venir.Sa vie bascule entre incompréhension et faible tentative de continuer comme avant...cad reprendre le boulot,poursuivre sa vie de couple...sauf que sa femme qui craque complètement le quitte et au boulot,ses collègues sont partagés entre critique,curiosité et pitié.Va-t-il pouvoir tenir,rester dans cette maison?Le récit nous l'apprendra.

Mais le talent de la narratrice consiste à creuser l'âme humaine,à aller chercher là où ça ne fonctionne pas chez le héros,mais aussi chez nous.Le récit nous renvoie à notre incapacité à communiquer vraiment,à nous rendre accessible aux autres,à sortir de cette "muraille"/carapace...Nous pensons connaître l'autre et lui être accessible,mais il n'en est rien.Thierry est emmuré,il se leurre sur lui-même,la lucidité lui fait défaut.

Ne sommes-nous pas désespérément absents aux autres et à nous-mêmes?

 

***Référence à l'émission de la Grande Librairie:

https://www.youtube.com/watch?v=QGd6F9vIl90

 

vendredi 12 mars 2021

EN THÉRAPIE série écrite par Olivier Nakache et Éric Toledano


 SÉRIE

Éric Toledano et Olivier Nakache,duo gagnant aux commandes de cette série qui cartonne sur Arte,le jeudi soir et qu'on peut revoir à l'envi sur le site d'ARTE en podcast.Un succès incroyable,inouï pour une série française.Elle draine des millions de téléspectateurs.Et chacun d'analyser,d'expliquer le secret d'un tel succès.

La série réunit de multiples et indéniables qualités : des séquences brillantes,une palette d'acteurs exceptionnels,une manière de filmer qui intériorise le propos,des rebondissements dans l'évolution des patients qui rompent la monotonie des séances....
Mais surtout la série nous touche car elle nous parle de NOUS...,
de nos problèmes de vie,
de nos difficultés de communication...
Chacun peut se retrouver dans ces crises existentielles : la crise de couple,les blessures de l'enfance,le délitement familial,la jalousie,le désir d'enfant,le déficit d'estime de soi...
Plusieurs patients ont une image très négative d'eux-mêmes, notamment la jeune Camille qui "crève l'écran"...
On peut s'identifier à chacun des patients : homme/femme...jeune/adulte...mari/femme...
Car au-delà des cas particuliers, cette série touche à l'universel...
Cette UNIVERSALITÉ de la souffrance humaine, l'essentielle fragilité,
voilà le fil rouge.
Malgré certaines maladresses et approximations relevées par de vrais psy,
la série a le mérite de démystifier la psychanalyse aux yeux du grand public, elle la rend accessible à notre compréhension.
Un immense BRAVO 👏👏👏
aux 2 réalisateurs si talentueux.
*2 phrases que j'ai retenues:
"On vient ici parce qu'on a quelque chose à dire,
mais il y a aussi quelque chose qu'on ne veut pas dire...et qu'on ignore."
"On peut tout dire,... même l'inavouable..."
 
D'aucuns critiquent cette série,épinglant l'écart entre une "vraie" séance de psychanalyse et ces capsules de 25 minutes.Une séance ne se passe pas ainsi,il y a les silences...Le psy n'évoque jamais sa vie privée,or ici,le psy s'implique,s'en réfère parfois à des vécus personnels...etc
MAIS...  Le mérite de cette série est d'avoir démystifié l'univers de la psychanalyse,ses codes,ses pratiques aux yeux du grand public... Il y a forcément des simplifications,des raccourcis,des maladresses comme ce psy trop interventionniste ( magistral acteur:Frédéric Pierrot... ) ou des attitudes étranges des patients...mais ne boudons pas notre plaisir et ne cherchons pas les poux... Ce n'est pas une série destinée aux spécialistes,elle serait assez inconcevable d'ailleurs avec les nécessaires silences... Et on s'en fiche un peu de ceci, précisé dans un article : ...."dans le cas du personnage d’Ariane, il ne s’agit pas d’un transfert amoureux. Elle est simplement amoureuse de son psy, de sa personne et non pas de l’analyste. Elle tombe amoureuse car il a rendu cela possible.” OK,...mais franchement,ça fonctionne quand même vachement bien, même si elle est seulement amoureuse de la personne...et pas de l'analyste. Ne boudons pas notre plaisir. Cette série est une RÉUSSITE exceptionnelle qui nous touche chacun par le caractère universel de la souffrance humaine.
 
Voici le lien d'un article publié par France-Inter: 
https://www.franceinter.fr/culture/mes-consultations-sont-moins-dramatiques-on-a-demande-a-5-psy-ce-qu-ils-ont-pense-de-en-therapie?utm_medium=Social&utm_source=Facebook#Echobox=1612453829

Voici ce que nous apprenons grâce à la série....notamment.... (Photo)
                                   
                                      


jeudi 11 mars 2021

LËD de Caryl FÉREY


LIVRE

Gros coup de coeur pour ce polar sombre et haletant qui se déroule dans l'univers implacable et glaçant de la Sibérie.L'action se déroule à Norilsk,la ville la plus septentrionale du monde,la plus froide et la plus polluée aussi.Sous Staline,Norillag*** était un camp du Goulag où les Zeks extrayaient de nombreuses ressources minières dont le nickel...Des milliers de prisonniers y trouvèrent la mort avant le soulèvement qui suivit la mort de Staline.C'est ce lieu que Caryl Férey a choisi pour situer une enquête menée par Boris,un flic bourru certes,mais déterminé.Il ne lâchera rien. 

Une première victime est retrouvée au lendemain d'une nuit glaciale (genre - 47degrés!!!)...Il s'agit d'un Nenets,membre d'une tribu nomade qui élève des rennes.Que venait-il faire en ville?Pourquoi  tuer un éleveur de rennes?Qui a pris cette photo révélant son identité? Et quels sont les liens entre lui et Valentina,une blogueuse qui dénonce les dérives écologiques sur son Blog?Est-elle aussi menacée?Toutes ces questions rythment une enquête hasardeuse,chaotique,d'autant plus que les chefs ne sont pas très soutenants,c'est le moins qu'on puisse dire...Ils seraient assez pour classer l'affaire sans suite,comme on dit.Mais très vite,Gleb,un photographe s'avère l'auteur de la photo,lui qui travaille à la mine et doit cacher son homosexualité,si mal vue en Russie...et son amour secret pour Nikita,un poète.L'histoire est lancée.De nombreux personnages,hommes et femmes interviennent,tous et toutes plus attachants les uns que les autres...notamment,la légiste Lena qui partage avec Boris des données essentielles,bien sûr.

On sent tout au long de ce livre un vrai attachement de l'écrivain pour la Russie,pour l'âme russe,pour ses habitants d'une cité si loin de tout,où chacun peut se sentir en exil de soi-même.Il s'est imprégné de la culture russe,de la langue russe (il nous distille des termes typiques:la dolia (p93 et 515...),priviet,les gostinka...) L'écriture est remarquable:sèche et efficace,notamment le chapitre d'ouverture qui est juste hallucinant.LËD (prononcé Liod) signifie glace,glaçon en russe.On découvre aussi que plusieurs thèmes lui tiennent à coeur et traversent ce récit.

*La recherche de ses origines à travers la figure féminine de Dasha qui découvre que sa grand-mère aurait été une zek dans le camp de Norillag.

*Un intérêt écologique:la pollution des sols liée au gisement minier,les pluies rouges appelées aussi "pluies de sang"...le réchauffement du permafrost (p212)...etc

*La corruption généralisée dans cette région,... à tous les niveaux.

Un extrait pour illustrer l'écriture:

"Glabre sous son bonnet de laine,le regard passé à l'eau de Javel du cosmonaute jamais remis de la descente,le concierge guettait dans son réduit,un igloo où il tapait des pieds pour éviter de s'engourdir..."p130.

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On se souviendra de ZULU sorti en 2008,polar sur fond d'apartheid qui avait valu à l'écrivain de nombreux prix...et une vraie reconnaissance.

***Pour en savoir plus sur  Norillag***,voici un lien:



Nadine d'Arian