LIVRE***
Prix Femina Étranger 2018
Rarement...,j'ai eu envie de relire un livre une fois refermé.C'est le cas cette fois.J'ai été séduite par le récit,par l'écriture,par les références historiques à cette guerre d'Espagne que je connais peu,mais aussi par le cheminement existentiel de cet écrivain qui rechigne d'abord à écrire l'histoire de ce grand-oncle maternel,MANUEL MENA qui s'est engagé à 19 ans en octobre 1936 dans les rangs franquistes et va être mortellement blessé en septembre 1938.Il éprouve de la honte à l'égard de ce membre de la famille engagé "du mauvais côté",puis peu à peu en retraçant son histoire,en rencontrant certains anciens qui l'ont connu dans son village natal de l'Estrémadure,il se l'apprivoise,le comprend,découvre ses questionnements...
Ce récit est palpitant,extrêmement bien construit avec une alternance de passages consacrés à la guerre civile espagnole qui fut si dévastatrice et de recherches sur les faits et gestes du soldat:son engagement dans les batailles de Teruel (p157) où il fut blessé,de Lerida (p187)et enfin la bataille de l'Èbre (p250) où il fut mortellement blessé à la hanche.Et des références littéraires qui étayent son propos.Il évoque Le désert des Tartares (p15) où Drogo attend un ennemi qui ne se montrera jamais est un peu comme sa mère,exilée vers Barcelone qui attend/espère son retour au village natal.Il illustre ses recherches par des passages de l'Iliade et l'Odyssée où les personnages de Achille et Ulysse sont mis en contre-champ (à la fin du chant XI***),Achille qui connut une "Kalos Tanatos"comme Manuel mort si jeune.
Extraits ***:" Ne cherche pas à m'adoucir la mort, ô noble Ulysse!
J'aimerais mieux être sur terre domestique d'un paysan,
Fût- il sans patrimoine et presque sans ressources,
Que de régner ici parmi ces ombres consumées . "p291.
* J’avais également compris que l’histoire de Manuel Mena était l’histoire d’un prétendu vainqueur et d’un vrai perdant ; Manuel Mena avait perdu la guerre par trois fois : la première, parce qu’il avait tout perdu lors de cette guerre ; la deuxième, parce qu’il avait tout perdu pour une cause qui n’était pas la sienne mais celle des autres, puisque lors de cette guerre il n’avait pas défendu ses propres intérêts mais ceux d’autrui ; la troisième, parce qu’il avait tout perdu pour une cause qui n’était pas la bonne : s’il avait tout perdu pour une bonne cause, sa mort aurait eu un sens, il serait logique à présent de lui rendre hommage, son sacrifice mériterait d’être commémoré et honoré. Mais non : la cause pour laquelle Manuel Mena était mort était une cause odieuse, impardonnable..."
Et ce bel hommage à Manuel Mena:
"...Et c'est seulement alors que je réalisai que Manuel Mena cessait d'être pour moi une silhouette floue et lointaine, aussi raide, froide et abstraite qu'une statue, une funèbre légende de famille réduite à un portrait confiné au silence poussiéreux d'une remise poussiéreuse de la maison familiale vide, le symbole de toutes les erreurs et les responsabilités et la culpabilité et la honte et la misère et la mort et les défaites et l'horreur et la saleté et les larmes et le sacrifice et la passion et le déshonneur de mes ancêtres, pour devenir un homme en chair et en os, seulement un garçon digne qui en était revenu de ses idéaux, un soldat perdu dans une guerre qui lui était étrangère et dont les raisons lui échappaient."p248.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire