On sait qu' Emmanuel Carrère est un grand écrivain,il le prouve une fois encore dans cette chronique judiciaire qu'il a tenue près d'un an au procès des attentats du 13 Novembre 2015.Chaque semaine,il envoyait au Nouvel Obs un compte-rendu du déroulement du procès et c'est devenu un livre divisé en 3 parties inégales:les Victimes,les Accusés et la Cour.
Il le rappelle dans une interview de France Culture ,c'est le problème du Mal,les motivations des criminels quel qu'ils soient qui est au centre de son attention,de son intérêt.Rappelons-nous L'Adversaire,cette plongée vertigineuse dans l'histoire de ce menteur devenu criminel.Cette fois encore,c'est l'âme humaine à la dérive,la face sombre de l'être humain,ses secrets,l'inavoué et l'inavouable qui l'intéressent.C'est un travail d'équilibriste,toujours dans la nuance et le tact qu'il réalise.On est touché,on vibre au récit des souffrances des victimes qui témoignent au long des audiences de ce qu'elles ont vécu et qui les marque à jamais***.Et pourtant il n'y a ni voyeurisme,ni misérabilisme dans ce texte éminent.On s'en tient à des faits,on rend compte du drame personnel et collectif.
L'attention portée aux accusés est tout aussi forte.Vont-ils parler,dire quelque chose, être plus précis ou alors se murer dans le silence,ce qui est leur droit? Ça dépend de l'un ou de l'autre.Mais tant de questions restent sans réponses,tant de zones d'ombre subsistent que Carrère débusque par-ci par-là.Jamais donneur de leçons,jamais exagéré,ce qui ne l'empêche pas de poser des questions éthiques,existentielles centrales:Par exemple,plus dur d'être le père d'une victime ou le père d'un terroriste?Question sans réponse...,on ne compare pas des souffrances,juste on imagine...Il se pose aussi la question de la légitimité de ce procès-fleuve pour les survivants,parents,frères,soeurs,époux ou épouse et il répond ,p302.C'est magnifique.
..."Mais c'est une façon de recueillir ce qui a été dit et,au lieu de le disperser,de transformer l'affect en droit.C'est cela ou cela devrait être cela un procès:au début on dépose la souffrance,à la fin on rend la justice."
On peut espérer un "certain" APAISEMENT pour toutes ces parties civiles,ces survivants,ces témoins à jamais marqués dans leur chair et dans leur esprit.
*** E.Carrère évoque les témoignages,p55,56:
..."Ce ne sont pas des faits qui s'énumèrent et s'épuisent, mais des voix qui se déploient, et toutes - enfin presque toutes - sonnent juste. Presque toutes ont l'accent de la vérité. C'est ce qui fait que cette longue séquence de témoignages n'est pas seulement terrible mais magnifique, et ce n'est pas par curiosité morbide que nous qui suivons le procès ne changerions nos places pour rien au monde ni n'envisageons calmement la perspective d'en rater une journée. J'ai lu, entendu dire et quelquefois pensé que nous vivons dans une société victimaire, qui entretient une confusion complaisante entre les statuts de victimes et de héros. Peut-être, mais une grande partie des victimes que nous écoutons jour après jour me paraissent bel et bien des héros. À cause du courage qu'il leur a fallu pour se reconstruire, de leur façon d'habiter cette expérience, de la puissance du lien qui nous unit aux morts et aux vivants. Je me rends compte en relisant ces lignes qu'elles sont empathiques, mais je ne sais pas comment le dire moins emphatiquement : ces jeunes gens, puisque presque tous sont jeunes, qui se succèdent à la barre, on leur voit l’âme. On en est reconnaissant, épouvanté, grandi."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire