Un puma dans le coeur de Stéphanie Dupays

 LIVRE

Roman extrêmement touchant,bouleversant même sur le thème des secrets de famille,des non-dits, mensonges ou en tout cas vérités cachées.

La narratrice qui se sent des affinités avec son arrière grand-mère entreprend des recherches à son sujet.L'histoire familiale dit qu'elle serait morte de chagrin après le décès de son mari et de ses 2 fils.La vérité est tout autre,celle que Agnès découvre suite à de nombreuses investigations auprès d'hôpitaux,d'administrations de la région bordelaise où vivait son aïeule Anne.Des archives lui livrent les dates de naissance et de mort de celle qui semble avoir vécu bien plus longtemps que prétendu.La réalité de sa vie,c'est un long,un interminable enfermement dans un hôpital psychiatrique dont elle tentera de sortir en multipliant des lettres destinées aux directeurs successifs qui n'accéderont jamais à sa demande.Anne écrivait et Agnès aussi s'exprime pendant sa quête à travers de courts poèmes ou haïkus,rendant ainsi hommage et dignité à son aïeule.Cette quête,elle l'exprime ainsi à un moment donné: 

 «Je pose sur le papier les faits, les dates, les souvenirs comme autant de petits cailloux en espérant qu’ils dessineront un chemin. Je convoque l’archive administrative, la médecine, la sociologie pour m’aider à approcher la vie d’Anne Décimus.»

Ce récit est évidemment l'occasion de s'intéresser aux pratiques chaotiques de la psychiatrie au début du 20ème avec le recours aux bains,cures de sommeil, électrochocs...p154 Et la narratrice de poser cette question lancinante à la page 116:"Que fait-on pendant trente-huit ans à l'hôpital?"

Les choses humaines de KARINE TUIL

 LIVRE

Décidément j'aime bien,... j'aime beaucoup cette auteure.J'ai lu plusieurs de ses romans."L'invention de nos vies" était un livre brillant soutenu par une narration très maîtrisée et cette fois encore on lit une histoire plaisante,très bien structurée grâce à cette alternance des chapitres où l'on suit le destin des 3 principaux personnages.Cette construction correspond bien à mon besoin de rationalité.

C'est l'histoire d'une famille,d'un couple,d'un fils.Les parents tous les deux socialement brillants connaissent des revers de trajectoire professionnelle et de santé.Le fils,étudiant dans une prestigieuse école américaine est un être fragile,peu sûr de lui,vivant mal une rupture amoureuse.Voilà le ton des premiers chapitres déjà très prometteurs,car la psychologie de chaque personnage est analysée dans sa complexité,...ensuite le récit bascule suite à un événement qui ressemble à un tsunami et le lecteur ne lâche plus le livre,tentant d'anticiper le dénouement.

On retrouve les thèmes chers à Karine Tuil:l'ascension sociale qui se révèle éphémère,souvent suivie d'une dégringolade,le pouvoir de séduction des hommes,leur manipulation,la passion amoureuse...Le roman est sorti en 2019 dans le contexte de "Metoo",il reflète l'actualité de ce moment.

Peindre,pêcher & laisser mourir de Peter HELLER

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Le titre à lui seul annonce une pluralité thématique.Et en effet,le héros de l'histoire est tout à la fois peintre innovant,pêcheur passionné qui arpente les rivières et ruisseaux du Colorado et l'objet d'une vengeance qui va le transformer en proie.Il a osé s'interposer auprès d'un gars qui maltraitait clairement sa jeune jument et Jim,son prénom,ami de tout être vivant:oiseau,mammifère...ne peut supporter la souffrance animale.

Il y a vraiment de tout dans ce roman:des réflexions philosophiques,des coups de coeur en peinture,des techniques raffinées de pêche à la mouche...et surtout un être torturé qui cherche à se reconstruire après la perte de sa fille.La nature salvatrice,des présences féminines...et PEINDRE,peindre à n'en plus finir,à tort et à travers,partout en extérieur ou intérieur l'aide.
On l'aura compris,ce récit est d'une incroyable richesse,car il s'agit quand même aussi d'une traque dont le suspense est haletant,comme dans son roman suivant:LA RIVIÈRE de 2021 où l'on retrouve ce bouillonnement,ce talent d'écrivain qui ne lâche son lecteur à aucun moment.

Un extrait sur la peinture: 

 "Un bon tableau devait faire ça. Inviter le regardeur à entrer en lui d'où qu'il se tienne, l'entrainer dans un voyage différent de celui qui expérimentera son voisin.J'adorais ça, observer plusieurs personnes regarder un tableau au même moment.Parce que c'était la transformation qu'il provoquait : devant une oeuvre de qualité un spectateur cesse de voir pour commencer à regarder, une action plus précise, une prise en chasse, une quête, comme on recherche le bateau d'un être aimé sur la ligne d'horizon, ou un élan entre les arbres.Devant un bon tableau, il cherche les indices de sa propre existence.p110.

ÉVASION de Benjamin Whitmer

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Évasion... Cavale...Traque.C'est la dynamique de ce récit haletant.On suit les fuyards,on suit les gardiens lancés à leur poursuite,on suit les journalistes qui flairent le bon scoop.Tout ça dans le Colorado et sous d'abondantes chutes de neige.C'est bien construit avec une alternance de chapitres très pertinente.Qu'ils soient évadés ou traqueurs,les personnages sont des êtres cabossés,abîmés,aux rêves inaboutis,écrasés par le réel,souvent désespérés et incapables de se reconstruire.Et on sent que l'écrivain les aime,a de la compassion pour eux.

Incroyable littérature américaine qui s'empare de destins et les passe à la moulinette.Le récit est réussi,car il monte en puissance,maintenant le suspense.Il y a une vraie aisance dans l'écriture,dans l'organisation du récit,on navigue facilement entre passé et présent,on quitte l'action de l'instant pour se balader dans d'anciennes anecdotes constitutives du personnage. actuel.

L'écrivain Benjamin Whitmer a été interviewé par François Busnel pour La Grande Librairie en Juin 2019 (voir le lien) et le roman a été préfacé par Pierre Lemaitre qui en fait un éloge appuyé.

 https://www.facebook.com/LaGrandeLibrairie/videos/1748104482001105/

Voici un extrait où un des fuyards explique la prison pour lui:

 "En prison tu construis ton temps. Tu fais des piles de temps avec le claquement des cuillers sur les assiettes en fer, avec l’odeur du nettoyant industriel et l’odeur de la sueur, avec les pas et les pas sur le goudron de la cour, avec les visages plats des matons comme des trucs gravés à l’eau-forte sur un mur en béton, avec les ampoules nues de 200 watts qui vrombissent pendant que tu te branles dans une poignée de pommade, avec le sifflement et le cliquetis des tuyaux dans les murs, avec les petites tapettes aux mentons secs et aux lèvres gercées. Tu empiles ça comme un château de cartes, et Mopar venait de réaliser qu’il n’en pouvait plus de faire des piles."p123.

Un autre extrait:

C'était la fatigue d'une femme qui avait passé l'intégralité de sa vie à regarder l'intégralité de sa vie se désagréger. Vous voyez tous les espoirs que vous ayez jamais eus se faire balayer comme de la neige par le vent. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien que cette chose microscopique qu'est votre propre personne. Et puis vous attendez que ça aussi, ça se fasse balayer. 

Pessimisme assumé!!!

RÈGNE ANIMAL de Jean-Baptiste Del Amo

LIVRE 

Une terrible histoire qui a pour cadre une ferme dans le sud de la France.Elle se développe sur 3 périodes,depuis les années de la Grand Guerre jusque dans les années 80.Il est question de transmissions familiales lourdes et implacables.Impossible à assumer.Les caractères des protagonistes sont dessinés au scalpel,avec une froide netteté:Un père inexistant,une "génitrice" bigote et insensible et leur fille Éléonore qui grandit dans cette ambiance malsaine,car c'est une ambiance qui transpire du récit,des sensations,des instants...Tout cela grâce à la magie de l'écriture,écriture totalement maîtrisée de l'écrivain.Chaque mot est à sa place.C'est terrifiant de réalisme,du ZOLA puissance 4 et donc on sort de ce récit,rincé.Certains passages sont totalement sordides,des descriptions à la limite du supportable,notamment quand il s'agit du traitement des animaux,de leur souffrance intolérable,car c'est un livre militant,à charge qui s'insurge contre les pratiques douteuses de certains abattoirs.Rien ne nous est épargné.

Ce livre de 2016 est  antérieur à "Le fils de l'homme" de 2021 où le talent de Del Amo s'est confirmé.

OPPENHEIMER de Christopher NOLAN

 FILM

Que dire, qu'écrire sur ce film de 3 heures?

*1ère heure:focus sur la carrière scientifique de Oppenheimer.

*2ème heure passionnante de la préparation de la bombe

*3ème heure: le réalisateur perd son public

Elle est consacrée à la disgrâce du héros, liée à son passé de sympathisant communiste.

Pourquoi tant s'attarder au procès mené par Lewis Strauss à charge de 1954,déjà évoqué dans la première partie,multiplier les témoignages?

Le casting est évidemment époustouflant...mais je n'ai pas été vraiment convaincue par le choix de Cillian Murphy, acteur aux yeux inquiétants et au sourire énigmatique...

Et puis, on s'y perd dans cette multitude d'intervenants: hommes politiques/ scientifiques...

Un article du Journal Le Point est éclairant.

J'aurais dû le lire avant:

https://www.lepoint.fr/.../oppenheimer-comment-s-y...

En définitive,il manque un point de vue dans ce film,un angle d'attaque... On ne perçoit pas ce qui intéressait vraiment le réalisateur.A-t-il été interpelé par la complexité de la personnalité de Oppenheimer ou davantage par les controverses politiques suscitées à son égard,le procès,sa comparution devant une commission à laquelle Nolan consacre une grande part du film?Je n'ai pas la réponse.

                                      

CONGO de David Van Reybrouck

 LIVRE

Raconter l'Histoire du Congo de la fin du 19ème siècle,époque des explorateurs britanniques jusqu'en 2010 avec le président Joseph Kabila aurait pu se révéler fastidieux.Il n'en est rien.Car cette histoire a la forme d'une enquête,passionnante avec ses documents,ses nombreux témoignages où apparaissent des congolais qui ont vécu les événements et peuvent dire:"J'y étais".L'écrivain brugeois,journaliste et aventurier a en effet truffé son récit d'anecdotes parfois pittoresques,parfois tragiques mais toujours pertinentes,car on sent battre le coeur d'un pays si grandiose,si riche et diversifié à travers ces vécus.Ces 600 pages se lisent facilement,sans qu'on se lasse.L'écrivain-historien ne manque pas d'évoquer les grandes personnalités qui ont fait ce Congo,l'ont enrichi,abîmé,exploité,mais aussi développé.Personnalités politiques,à commencer par le roi Léopold II qui en a fait sa colonie avant de la céder à la Belgique,les gouverneurs,chefs militaires...et après l'Indépendance en 1960 ,les hommes politiques congolais:Lumumba,Kasavubu,Mobutu et Kabila père et fils.Mais aussi des figures économiques,religieuses...

Le livre passe en revue les moments-phares de l'Histoire du Congo,de la colonisation à la décolonisation:le célèbre discours incendiaire de Lumumba,les luttes pour le pouvoir entre chefs africains issus de tribus différentes,le génocide des Tutsi au Ruanda en 1994,la prise de pouvoir de la RDC de Kabila...etc.Mais il tente de-ci de-là des explications,il cite les propos de certains visionnaires qui avaient anticipé et très vite compris cette soif d'indépendance du peuple congolais,de chefs d'entreprises ou ingénieurs qui pointaient des inégalités,des incompatibilités,des incompréhensions mutuelles...Je retiens le nom de cet ingénieur russe Vladimir Drachoussoff qui en 1943 déjà tenait un journal qui se révèle prophétique ( p217 à 221),un colonial plein d'empathie.

On est emporté comme sur cet immense fleuve Congo,long de 4.700 km dans un flot de témoignages,de récits incroyables,d'actions de simples congolais qui font preuve de courage et d'endurance...ils ont noms:Nkasi(1882)/Disasi Makulo(1941)/Martin Kabuya/Simon Kimbangu/Paul Panda,ancien prisonnier de la guerre 40-45/Jamais Kalonga....

Les tensions (p470:"une haine très profonde"!!!) entre le Rwanda et le Congo sont pointées du doigt avec ces "guerres du Congo",en 1997 et de 1998 à 2003...Ce sont les débuts de Désiré Kabila qui au fur et à mesure va s'éloigner de Paul Kagame.Tout oppose les 2 pays:le géant congolais s'avère faible face à "la vitalité militaire du nouveau Rwanda",p473,les tensions ethniques perdurent après le génocide rwandais...la pauvreté,la perméabilité des frontières...etc.Ce livre est d'un intérêt primordial si on veut approcher un peu plus l'histoire complexe de ce beau pays si riche où j'ai passé mon enfance: de ma naissance à Kigali en 1950 à 1960/Kolwezi d'où nous fuyons le 30 Juin vers la Rhodésie/Zambie actuelle.