vendredi 29 avril 2016

CE MONDE DISPARU de Dennis LEHANE

LIVRE POLICIER

Ça se lit comme on regarderait un film genre "Le Parrain".Ambiance de mafia,de règlement de comptes,de codes d'honneur.Fusillades,traquenards,vengeances du clan sont au rendez-vous avec aussi une thématique plus intimiste,celle du rapport père/fils.
Les gangsters,notamment Joe Coughlin,le héros du polar,sont des êtres complexes,ambigus,tourmentés par des questions existentielles sur leurs actes,sur leur légitimité.Ils ont le sens du tragique,ils doutent et sont loin d'êtres des brutes sanguinaires,incontrôlées et incontrôlables.Ça discute beaucoup,ça échange,ça sent le temps qui passe,ça calme le jeu quand nécessaire.Toute une densité humaine qui infuse le roman dont il ne faut surtout pas dévoiler le final à couper le souffle.

Si on veut être au plus près de l'histoire,disons qu'il s'agit d'une menace de mort qui pèse sur le héros,patron d'un clan à Tampa en Floride.On est en 1943,en pleine guerre mondiale.
C'était mon premier Dennis Lehane et je n'ai pas été déçue du voyage.

Voici quelques titres de ses polars.

La plupart ont été adaptés au cinéma.Avec succès.

Un dernier verre avant la guerre -1994
Ténèbres,prenez-moi la main - 1996
Gone,Baby gone - 1998
Prières pour la pluie -1998
Mystic River - 2001
Shutter Island - 2003
Un pays à l'aube - 2008 
Moonlight Mile - 2010
Live by night /Ils vivent la nuit - 2012
The Drop / Quand vient la nuit -2013
World gone by / Ce monde disparu - 2015 



                                                                                                              

jeudi 14 avril 2016

VALLEY OF LOVE de Guillaume NICLOUX


FILM   
                                                                                                                                               
 Le film faisait partie de la sélection officielle à Cannes en 2015.On en a peu entendu parler.Film un peu étrange au sujet improbable,il est surtout l'occasion de vérifier l'immense talent de ces 2 grandes pointures du cinéma que sont Depardieu et Huppert.
 Quel naturel !..Quelle aisance dans des répliques banales,quotidiennes.

Réunis suite à une demande de leur fils qui s'est suicidé,les ex-mariés se retrouvent dans le désert de l'Arizona à l'affût d'un signe? que ce dernier a promis de leur donner.
En fait,il ne se passe pas grand chose pour ne pas dire rien.Le couple va chaque jour à un lieu différent de cette"Dead Valley".Ils attendent,ils ont chaud,trop chaud,surtout lui.Ils parlent,ils évoquent le passé,leur fils disparu et diffusent chacun à sa manière  regrets,ratages,dose de culpabilité.Ils se regardent aussi,beaucoup.Aucun jugement,aucune attente particulière.

La mère est dans l'émotion,tout en retenue.Elle est bouleversante dans l'expression de cette douleur à la fois intense et contenue.L'impression d'échec,d'une vie ratée et d'un avenir peu prometteur.Lui écoute,comprend,soutient,approuve avec extrêmement de douceur.C'est un vrai colosse aux pieds d'argile,fragile,vulnérable,totalement désorienté sous ce soleil accablant.
Leur mal être palpable de bout en bout est exprimé avec une grande économie,économie de mots,d'attitudes,de gestes.C'est sobre,sans apprêts.
Jamais ils ne surjouent,jamais ils ne tombent dans le mélo,ils sont tous les deux absolument poignants.
Une réussite,ce film simple et intense. 

Réussite cinématographique aussi.Un long plan d'Isabelle Huppert marchant filmé de dos ouvre le film.Il y a de nombreux plans où les acteurs sont vus de dos,en accord avec le propos.La blancheur du sable des montagnes sur fond du bleu du ciel,la lumière aveuglante et ses rares coins d'ombre,la nuit aussi et son ambiance inquiétante,tout cela donne le cadre.Splendide.


 



dimanche 10 avril 2016

UNE CERTAINE VISION DU MONDE de Alessandro BARICCO

LIVRE

Mais quel formidable livre!!!.Un exercice de style totalement réussi.
L'écrivain italien,connu chez nous pour plusieurs romans dont "Soie"/"Novecento pianiste"/"Châteaux de la colère"...nous propose cette fois 50 critiques de livres qu'il a lus entre 2002 et 2012.
Je les ai dégustées,l'une après l'autre,avec le même bonheur.
Rédiger cinquante critiques,c'est assurer la diversité des sujets abordés.
Les livres lus couvrent des thématiques aussi variées que le tennis,le foot,le polar,Bangkok,Magellan,le Parthénon,Padre Pio...mais aussi les racines du romantisme ou "Le guépard".
Chaque courte critique (aucune n'excède 3 pages) est un morceau choisi,une délicieuse mise en bouche.
Notre appétit est aiguisé,on aurait envie de vérifier l'engouement de l'écrivain pour tant d'oeuvres.Il explique chaque fois comment le livre lui est venu.Tantôt ce sont les conseils d'un ami,tantôt l'envie de combler une lacune littéraire,tantôt aussi le pur hasard.

Alessandro Baricco s'exprime dans une langue simple,accessible,imagée aussi.
Il nous donne la sensation d'être assis à nos côtés pour partager tant de bonheurs littéraires.
(du reste,il y a un fauteuil sur la 1ère de couverture!!!)
Lecteur parmi les lecteurs ,il nous invite à le suivre,sans jamais nous forcer la main.
C'est léger,souvent drôle et si personnel.

Quelques extraits

 "Acheté parce que je n'arrivais pas à trouver un seul point commun entre un écrivain aussi mesuré que Zweig et un aventurier fou tel que Magellan".p69. (Magellan de Stefan Zweig.)

"On relit certains livres parce que ce sont des classiques.Mais quand on va jusqu'à les racheter,alors c'est une maladie".p112.(Le guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa.)


"Je ne sais pas,mais il me semble que Fred Vargas déniche ses personnages dans une zone de l'imagination qui renferme une version corrigée de la réalité,et qu'en les livrant à la page,elle nous venge de la modestie de nos journées..." Éloge de Fred Vargas,p98.

"Dès lors, on ne lit plus vraiment pour apprendre ni même pour se distraire intelligemment: au fond on le fait pour permettre à cette prose de laver certaines fatigues personnelles, des échecs ou des défaites, et d'apaiser la brûlure, éliminant de la plaie toute impureté. C'est ainsi qu'on lit pour le seul plaisir de la lecture- et pour se sauver." p51. Un livre des Goncourt sur les femmes.
 
 

 

lundi 4 avril 2016

TROIS JOURS ET UNE VIE de Pierre Lemaitre

LIVRE

Je vais être honnête.Je n'ai pas "adoré"ce dernier roman de Pierre Lemaitre que j'ai pourtant lu d'une traite.Je ne peux pas bien dire pourquoi.Est-ce le héros de l'histoire,un garçon de 12 ans auquel j'ai eu du mal à m'identifier?Est-ce la teneur plus psychologique que policière du roman?En effet,si le suspens est bien présent,il ne concerne ni le meurtrier,ni les circonstances du drame que nous,lecteurs sommes seuls à connaître,ni même l'enquête qui très vite tourne court.
Ce qui maintient notre attention de lecteur et notre intérêt,c'est toute la suite de cette vie ravagée,car prisonnière de cet inavouable secret (L'enfant qu'il était a tué accidentellement un plus petit que lui.On le sait dès le début.)
Il vit sa vie et nous avec,comme un être traqué,sans cesse en état d'alerte,aux aguets.
A l'affût d'une battue dans les bois,d'une photo publiée,d'un fait divers,d'une tempête qui menace de chambouler les aspérités du terrain....appréhendant aussi une recherche d'ADN...
Les soubresauts,choix de toute une vie sont vécus avec une épée de Damoclès.
Nous,lecteurs,naviguons dans les méandres d'une conscience qui sans cesse chavire,prend l'eau de toutes parts.S'attendant chaque fois au pire,Antoine n'est que doute,fuite,évitements.
Quel gâchis,quelle vie perdue!
La vraie punition pour lui,même s'il a échappé à la justice humaine,c'est d'avoir vécu sa vie d'homme comme un cauchemar permanent où chaque imprévu était vécu comme une menace potentielle.
Vous l'aurez compris,la densité émotionnelle et morale est totalement présente.L'écriture est aussi magnifique,précise,fine que dans ses précédents romans.
Sans parler du dénouement de l'histoire complètement imprévisible,ça nous tombe dessus littéralement.La surprise du chef.Du grand art.

Voici un court extrait,témoin du style de l'écrivain.C'est page 91:

"Mme Courtin entretenait avec la religion des rapports prudents et fonctionnels.Elle avait envoyé Antoine au catéchisme par précaution,mais n'avait pas insisté lorsqu'il avait souhaité ne plus s'y rendre.Elle fréquentait l'église quand elle avait besoin de secours.Dieu était un voisin un peu distant qu'on avait plaisir à croiser et à qui on ne rechignait pas de demander un petit service de temps à autre.
Elle allait à la messe de Noël comme on visite une vieille tante ..."  J'adore.

PS: J'ai lu tous les romans de Pierre Lemaitre et j'en ai rédigé la critique dans ce Blog. 

LA LANGUE DE MA MÈRE de Tom LANOYE

LIVRE

TOM LANOYE est un écrivain flamand dont le roman "Sprakeloos" a été traduit en français en 2011.
Ce livre est un vrai bonheur.Il se lit facilement.Écriture légère,agréable,haute en couleurs,très concrète.On suit les péripéties d'une histoire familiale tantôt rocambolesque,tantôt dramatique et touchante.Fils d'un boucher de Saint-Nicolas,Tom Lanoye s'attache à nous rendre vivante et accessible sa mère,une mère hors norme,actrice sur scène mais aussi dans la vie!
Le sort s'est abattu sur elle à la fin de sa vie,la frappant d'aphasie.
On comprend la stupeur,la désolation de cette famille,le père et les enfants face à cette "langue" que leur mère ou épouse ne maîtrisent plus du tout. Elle annone,s'embrouille,bafouille,prononce des mots décalés,absurdes,dénués de tout sens commun.Ce n'est malheureusement pas seulement la fonction cognitive qui est atteinte.Son comportement aussi,ses réactions face aux êtres,aux objets (la scène de la machine à laver!!!..).Comme si elle avait perdu les codes,tous les codes,ceux du langage,de la vie en société.Son entourage proche passe de l'incompréhension à l'espoir,quand elle semble réémerger, au découragement total lors d'une crise où ils tentent vaille que vaille de maîtriser son attitude délirante,voire agressive notamment à l'égard de son mari.
Ils assistent impuissants à ce lent naufrage.
Le côté tragique des événements ne prive pas l'écrivain de nous raconter des scènes d'une totale drôlerie.Ce sont des tranches de vie,des moments hilarants,tendus ou problématiques,tendres aussi,sans qu'il y ait une vraie ligne chronologique.
On est ému,on sourit,on imagine si bien la scène.C'est comme si on y était.
Et le talent de dramaturge de T.Lanoye n'y est sûrement pas étranger.
Je le répète,ce livre est un vrai bonheur.
Merci à Marcel R. de m'en avoir parlé.