mercredi 29 avril 2015

LE MAÎTRE DES ILLUSIONS de Donna TARTT

LIVRE

Les héros des romans de Donna Tartt sont des jeunes gens à la personnalité réservée,effacée,voire passive.Ils assistent aux événements,les subissent,sans vraiment parvenir à maîtriser leur destin.Ils sont influencés,manipulés par des amis au caractère fort,bien trempé,dominateur,tels Boris dans "Le Chardonneret" ou ici,l'énigmatique Julien.
Ce sont des chiens perdus,sans repères,sans colonne vertébrale.
Des êtres fragiles,sensibles à l'excès.

Richard,le narrateur de ce roman va être mêlé,bien malgré lui,à une incroyable aventure vécue par un groupe d'étudiants passionnés par le Latin et le Grec.Des êtres ténébreux,arrogants,
élitistes,mais attachants qui vont peu à peu accepter Richard.
Bien vite, un secret "trop" lourd à porter les réunit pour mieux les diviser plus tard, jusqu'au pire! 
La narration en JE permet d'appréhender le monde intérieur de Richard et son cortège de doutes,de peurs et de fantasmes.L'analyse psychologique est fouillée,atout majeur du roman.

C'est un roman sombre,un peu désespéré et très envoûtant.

Deux extraits révélateurs de la profondeur du style et de la pensée:

« (…) Les choses terribles et sanglantes sont parfois les plus belles. C’est une idée très grecque, et très profonde. La beauté c’est la terreur. Ce que nous appelons beau nous fait frémir. Et que pouvait-il y avoir de plus terrifiant et de plus beau, pour des âmes comme celles des Grecs ou les nôtres, que de perdre tout contrôle ? Rejeter un instant les chaînes de l’existence, briser l’accident de notre être mortel ? (…) Si nos âmes sont assez fortes, nous pouvons déchirer le voile et regarder en face cette beauté nue et terrible ; que Dieu nous consume, nous dévore, détache nos os de notre corps. Et nous recrache, nés à nouveau. »« 


  
"Pourquoi cette petite voix obstinée dans nos têtes nous tourmente-t-elle à ce point ? a-t-il dit en nous regardant l'un après l'autre. Serait-ce qu'elle nous rappelle que nous sommes vivants — notre mortalité, notre âme individuelle, ce que nous avons trop peur, après tout, d'abandonner, et pourtant ce qui nous rend plus misérables que n'importe quoi d'autre ? Mais n'est-ce pas la souffrance qui nous rend le plus souvent conscients de notre soi ? C'est une chose terrible que d'apprendre, dans l'enfance, que nous sommes un être séparé du monde, que nul être et nulle chose ne souffre de notre langue brûlée ou de nos genoux écorchés, que nos douleurs et souffrances ne sont qu'à nous. Plus terrible encore, lorsque nous grandissons, d'apprendre qu'aucune personne, si bien-aimée qu'elle soit, ne peut jamais nous comprendre vraiment. Notre soi est la cause de nos plus grands malheurs, et c'est pourquoi nous sommes si impatients de le perdre, ne pensez-vous pas?" (Magnifique!!)

lundi 27 avril 2015

ESPRIT d'HIVER de Laura KASISCHKE

LIVRE
                        L'ambiance est lourde entre une mère et sa fille,entre Holly et Tatty,en ce matin de Noël.Elles se retrouvent en tête-à-tête,isolées du monde suite à un blizzard tenace.
(Le père est à l'aéroport et les invités se sont décommandés).
L'ambiance est lourde donc.C'est une succession de règlements de compte,de petites allusions perfides,de reproches à peine voilés,de remarques mesquines...
L'ado semble dans un mauvais jour,ne répondant qu'à demi-mots ou pas du tout aux questions,demandes d'aide,tentatives de contact de sa mère.
C'est glauque,glaçant,pesant,voire oppressant.
L'écrivain,dont c'est le dixième roman,mélange habilement des détails prosaïques liés à la cuisson du rôti,à la robe de la jeune fille,à ses souliers à un monologue intérieur stérile de la mère qui tourne sur lui-même.
Qu'a-t-elle mal fait?mal compris? pourquoi ci,pourquoi ça?...sa fille dort-elle?(après avoir claqué la porte)...a-t-elle téléphoné à son copain?...
Mille questions l'assaillent,la plupart sans réponses.
La tension est palpable,l'affrontement permanent entre rage,culpabilité,regrets,inquiétude,accès incontrôlés de tendresse et frustration.
On sent qu'un drame se noue lentement,inexorablement...!!!
Un secret,une évidence va se révéler avec fulgurance à la mère qui a toujours vécu dans le déni.

Franchement...C'est mon premier roman de Laura KASISCHKE ....mais assurément le dernier.
C'est trop.Trop dur,trop tourmenté.

Même s'il faut reconnaître un style super efficace et prenant.

Exemples:
"Les carottes,quand Holly les sortit du bac à légumes,avaient l'air plus velues que dans son souvenir.De petits poils délicats les couvraient à présent et les fanes vertes semblaient  avoir poussé depuis qu'elle avait rapporté les légumes de l'épicerie...p145.

La mère Holly justifie son réveil tardif à Tatty/Tatiana:
"Oui,eh bien,cette année j'ai dormi tard....cette année, je me suis levée tard!Tue-moi,Tatty!Achève-moi simplement!Je t'en prie!"
Holly se tourna et força un rire contraint hors de ses poumons pour tenter de diluer le vacarme de sa colère,et également s'épargner l'indignité d'avoir perdu toute contenance,mais son coeur pulsait violemment,à cet endroit tendre à la base de son cou,ce qui lui donnait l'impression d'être une sorte de créature aquatique.
Comme s'il s'y trouvait des branchies affolées ..."  p83.



mardi 21 avril 2015

DU DOMAINE DES MURMURES de Carole MARTINEZ

LIVRE

Entre mythes païens et croyances religieuses,entre cruauté et fantaisie,se glisse ce récit d'une rare poésie.
Une pépite,une vraie.Tout droit venue de ce Moyen-Âge à la fois trouble,violent et fantastique.
Récit en JE.Une jeune fille de 15 ans,née au "Domaine des Murmures"au 12ème siècle,refuse l'époux qu'on lui destinait,préférant une vie de recluse dans une cellule proche du château.
Emmurée volontaire,notre héroïne se consacre à Dieu,à la prière et bien vite son histoire attire le voisinage.
Quelques extraits de ce début du roman,révélateurs de l'immense poésie du style:

"Et moi,je resterais en ma cellule,contemplant les univers que le Christ me donnerait à voir,immobile,toute à mon voyage vertical,à mon ascension par la prière et chacun saurait où me trouver,comme on sait trouver un moulin ou une tombe."  p50.

"Après seulement quelques mois,les pélerins en route pour Rome ou Saint-Jacques-de-Compostelle  ont commencé à faire un crochet par Hautepierre afin d'y rencontrer la recluse ... Je n'avais jamais tant reçu,tant parlé,du temps où,vivante,je devais garder la chambre,broder,chanter et obéir à mon père.
Tous ces êtres en mouvement venaient voir l'immobile et la vie passait devant moi,qui pourtant l'avais quittée"....
J'étais posée comme une borne à la croisée des mondes". p52.

Pouvoirs de confidente,de guérisseuse aussi,des âmes et des corps.Pouvoir de chasser la maladie et même la Mort qui semble avoir déserté le pays.
Puissance de cette innocente jeunesse qui protège,apaise,répare...et commande aussi.
Le récit réserve de jolis rebondissements.On se laisse surprendre et emporter par le courant de ce siècle où croisades,ferveur religieuse s'accompagnent de leur lot d'obscures intentions et de cruautés imbéciles.
La magie de ce roman,c'est qu'une histoire qui se passe au Moyen-Âge résonne en nous avec tant d'acuité,de pertinence.Nous sommes pénétrés de l'intérieur par ce souffle mystique.Nous devenons cette recluse, cette emmurée.
Quelle prouesse!!!

Merci à toi,Dominique, qui m'as recommandé cette lecture si forte.

Pour ceux qui s'intéressent à l'univers créatif de la romancière et à ses sources d'inspiration,voici le lien d'une video où elle s'en explique:

 https://www.youtube.com/watch?v=QcKMojfJPAM

NB: pour ouvrir ce lien,clique droit sur le lien ,ensuite choisir le Recherche Google /https...... 




 


.....

dimanche 5 avril 2015

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques ANNAUD


  FILM

Le dernier film de Jean-Jacques Annaud est une réussite esthétique.
Belles images,magnifiques paysages de Mongolie,visages expressifs des différents protagonistes,présence souveraine des loups,chasseurs intelligents et impitoyables,scènes hallucinantes de chasse tournées en nocturne...Une meute de loups traque un troupeau de chevaux semi-sauvages vers leur tombeau:un lac gelé.

MAIS quelle approche académique,comme l'histoire est indigente,le propos convenu!
L'éternelle et improbable alliance de l'homme et du loup,ce mélange attraction-répulsion,fascination-peur....tout ça nous est resservi dans le cadre majestueux de la Mongolie,propice à revisiter les mythes,à repenser l'harmonie de l'homme et de la nature.
Pour cela, il fallait éviter l'émotion facile,les allusions simplistes,un récit trop lisse.
Dommage.