LE JEU DE LA DAME de Walter TEVIS/1983

LIVRE

Suite au succès de la mini-série "The Queen's Gambit" sortie sur Netflix en 2020,le livre paru en 1983 a été traduit en français.Ce roman est magnifique et le plaisir des images de la série en toile de fond donne vie au récit,même si on connaît l'histoire de cette orpheline,Beth Harmon,sur-douée des échecs et de son ascension progressive dans le monde si masculin de ce jeu.Nous sommes dans le Kentucky,dans les années 60 avec cette rivalité russo-américaine qui contamine même le jeu d'échecs.Nous suivons la carrière de la championne,sa participation aux tournois,son état d'esprit mental surtout...Est-elle prête à affronter les tout grands?à les battre et à quel prix? car sa vie est tout sauf équilibrée.Toute petite à l'orphelinat,Beth a compris le pouvoir des petites "pilules vertes",calmantes et ensuite l'alcool aussi viendra la libérer de ses tensions,de sa solitude aussi...

Franchement,je recommande ce roman surtout pour son écriture.Une écriture sèche,mordante,efficace qui met en valeur les grandes étapes de sa vie.Les descriptions de l'une ou l'autre partie d'échecs, celle contre Benny Wats ou contre le maître russe,Borgov par exemple sont passionnantes.Pas nécessaire d'être un grand joueur pour comprendre ce qui se passe:la tension, les enjeux...Il est relativement rare de lire le livre après le film,mais ça peut s'avérer un vrai "plus".C'est la cas ici.

Voici quelques extraits pour illustrer ce style... et notamment ces phrases "à trois temps":

"...Des garçons arrivaient du couloir et s'alignaient le long du mur pour regarder la petite fille quelconque venue de l'orphelinat qui passait de joueur en joueur avec l'énergie résolue d'un César sur le champ de bataille,d'une Anna Pavlova sous les feux des projecteurs..."p59

"...Elle ne jouait que contre l'échiquier,avec les lignes de force gravées à sa surface:les petits champs têtus des pions,le gigantesque champ de la dame,les gradations entre les deux.Juste avant que le temps de Goldmann soit épuisé,elle le mit échec et mat."p135

"...Deux filles qu'elle connaissait voulaient devenir infirmières.Beth ne participait jamais à ces conversations;elle était déjà ce qu'elle voulait devenir."p169

"...Au bout d'un moment,une pensée simple lui traversa l'esprit:je ne joue pas contre Benny Wats;je joue aux échecs"p190  

"...Elle avait trois mille dollars sur son compte épargne,elle n'était plus vierge et elle avait appris à boire."p205 

 
 

DISPARAÎTRE de Lionel Duroy

 LIVRE

J'ai déjà lu plusieurs livres de cet écrivain,toujours touchant de sincérité,prêt à se dévoiler,à partager ses doutes et ses faiblesses,lui qui vient d'une famille déjantée,chaotique,une famille de 10 enfants et ses parents irresponsables,toujours menacés d'expulsion! (lire "Le Chagrin"****)

Cette fois,ayant atteint l'âge de 70 ans,il réunit ses 4 enfants et leur annonce son projet:partir à vélo,traverser l'Europe vers Stalingrad (l'actuelle Volgograd).Cette réunion de famille est l'objet de la première partie du livre,la seconde est le récit de ce départ retardé! pour cause de forte infection urinaire,ensuite viennent les péripéties multiples rencontrées par ce cycliste accompli.Il parle du vélo comme un anti-dépresseur:..."durant tout le temps passé sur mon vélo j'ignore la dépression,c'est d'ailleurs bien pourquoi je pédale chaque jour depuis 50ans.",p233.Pédaler et écrire sont donc les deux activités qui alternent,l'une le jour,l'autre le soir.

Une série de surprises,de rencontres intéressantes martèlent son trajet.Il y a les moments de grâce,mais aussi des découragements et une interrogation sur le sens de cette entreprise qu'il vit comme un défi à la vieillesse,à l'immobilité.Ce paradoxe de Fernando Pessoa lui conviendrait bien:"Agir,c'est connaître le repos",pensée à laquelle souscrit Sylvain Tesson.

Ce qui est passionnant avec Duroy,c'est qu'on voyage avec lui,on visite des lieux,des maisons,des hôtels avec lui.On participe à son mouvement grâce à des références aux lieux visités dont il ne se prive pas de raconter l'histoire.Il n'hésite pas non plus à citer des livres de référence liées à ces lieux,des coups de coeur littéraires,comme Kaputt de Malaparte,p143... ou La leçon d'Allemand de Siegfried Lenz ou encore cet écrivain roumain:Petru Dumitriu,né à Bazias...Il me donne envie de lire les livres qu'il lit.

Ce roman reste léger avec des passages vraiment drôles,même si bien sûr, le voyage est  très symbolique et chargé de sens.Un regret:l'absence de carte pour suivre son trajet depuis le Sud de la France vers le Nord de l'Italie,la Slovénie,la Croatie et finalement,l'entrée en Roumanie par "le barrage hydroélectrique des Portes de Fer",p218.

Et voici un extrait sur les lieux où l'on a été heureux et où on revient:

"....j'ai des images de tous les hôtels où Esther et moi sommes descendus,en France comme à l'étranger, et jamais je ne retourne dans un de ces pays sans revenir m'asseoir dans le hall de notre hôtel,y prendre un verre et de nouvelles photos....La mémoire filtre la réalité,elle ne retient pas la vulgarité du quotidien,son ennui,ses contrariétés, et à l'inverse, elle amplifie les bonheurs...C'est pourquoi on ne perd pas son temps à revenir seul sur les lieux de ces bonheurs - parfois en quelques minutes seulement tout ce qui n'est plus, se rejoue avec tant de présence sous nos yeux..."p209.

Voici la bibliographie proposée à la fin du livre:

                             

                                               

Cher Connard de Virginie Despentes

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On sent un coeur qui bat derrière ce texte,même si la romancière s'efface derrière ses personnages.

Ce dernier livre de Virginie Despentes rencontre de nombreux détracteurs autant que des fans enthousiastes.Il a carrément été encensé dans l'émission "Le masque et la plume",notamment par Frédéric Beigbeder,mais les réseaux sociaux ne se privent pas de le descendre en flammes.

Moi,j'ai trouvé ce roman épistolaire intéressant,bien construit et super bien écrit.Elle coche toutes les cases de notre époque,de ses principales problématiques.Dans leurs échanges de lettres,Oscar et Rebecca abordent le harcèlement des femmes,Metoo,les réunions permettant de tenir lors d'une sevrage à l'alcool ou à la drogue.Oscar a arrêté de boire et Rebecca de se droguer.Ils vont vivre le Covid,les confinements de façon assez positive.Lui se sent moins seul quand il participe à des réunions Zoom de son groupe de AA et découvre une réelle fraternité,elle recourt de moins en moins aux services d'un dealer.Les réseaux sociaux et leurs dérives sont aussi très présents.

C'est très bien écrit avec des passages d'une grande fulgurance,notamment sur l'éducation des fils,p75,76 ou sur les hommes et la liste de ce qu'ils ne subiront jamais contrairement aux femmes,p303.Ce qu'elle écrit est presque prémonitoire sur ce qui se passe en ce moment en Iran:les femmes et leurs cheveux coupés...

Un extrait du début du roman où elle évoque le partage sur Internet:

"...Je lance une pierre avec la foule lors de la cérémonie de lapidation et j'appelle ça "partager".J'ai senti que la réalité dite virtuelle commençait à s'infiltrer chez moi comme de l'eau qui passerait sous les portes et s'accumulant obligerait à patauger dedans."Quelle image parlante!!!

 

 

La nuit des pères de Gaëlle Joss

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Récit très touchant,sensible dont l'auteure Gaëlle Joss a le secret.Il nous parle de la souffrance d'une fille,Isabelle que son père si mutique et fermé a toujours dévalorisée.Prévenue par son frère Olivier de l'état de santé déclinant de ce père,Isabelle rejoint le village natal situé dans les Alpes.Lors de ce retour,la "mal-aimée" est traversée par un flot d'émotions,elle qui a quitté ces lieux depuis si longtemps.Elle retrouve un père diminué,confus,posant les mêmes questions...Parviendra-t-elle à se rapprocher de lui,à percer la carapace et surtout à découvrir les secrets de cet homme?Par petites touches,nous approchons du mystère d'un être,d'une terrible épreuve qui l'a marqué pendant la guerre d'Algérie.Comme tout enfant,Isabelle apprend à reconnaître les failles...et à pardonner. 

Voici un extrait sur les lieux dont je me sens assez proche:

"La mémoire des lieux.Je n'y peux rien,je porte ça en moi depuis toujours.J'ai la mémoire monstrueuse,oui,monstrueuse,hémorragique,débordante.Parfois,un visage s'efface ou un nom s'évapore.Un lieu jamais.Dix ans plus tard,je peux me souvenir de la disposition d'une chambre d'hôtel,d'un appartement,d'un restaurant,même si je n'y suis entrée qu'une fois...",p37.

 

Une heure de ferveur de Muriel Barbery

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On se souvient tous du premier? ou deuxième livre de Muriel Barbery:"L'élégance du hérisson" de 2006 qui évoquait la rencontre d'une concierge et d'une jeune fille de 11 ans qui se découvrent beaucoup de points communs.Roman délicieux,rafraîchissant.Plusieurs romans ont suivi,récemment marqués par un grand intérêt pour le Japon.

C'est le cas de ce roman de la rentrée littéraire dont le héros,Haru Ueno sera à jamais séparé de sa fille Rose qu'il a eue d'une courte liaison avec une française,Maud.En effet la mère lui a interdit tout contact avec l'enfant.Ce sont donc les thèmes de l'absence,de la séparation qui traversent ce roman qui malheureusement n'échappe pas à de nombreux clichés de la culture japonaise:le saké,on en boit beaucoup,la neige,les cerisiers,les fleurs...C'est une jolie écriture,raffinée comme une estampe japonaise,poétique à souhaits,mais un ennui profond s'installe au cours de la lecture que j'ai eu du mal à terminer.Les personnages sont peu attachants,on reste à distance,on ressent peu d'émotion et on n'est rarement surpris ou déstabilisé.Tout ça reste très beau,mais assez vide,sans âme.

Ce roman m'a peu touchée,peu intéressée.Je suis restée fort à distance.Une fibre poétique affûtée est indispensable pour apprécier ce récit,j'en suis visiblement dépourvue.Voici l'avis d'une auteure et blogueuse qui,elle aussi, est restée au bord du chemin,Yasmina Behagle:

 https://www.youtube.com/watch?v=uwlbkLRQmqs&ab_channel=YasminaBehagle