vendredi 9 mai 2014

Au revoir là-haut de PIERRE LEMAITRE


                                                   PRIX   GONCOURT   2013
                                                   "amplement mérité".






C'EST  LA   200ème  CRITIQUE !!!
( ça me semble si peu tout à coup quand je pense au nombre d'heures que j'y ai consacré ...)

     Après la lecture de tous les romans policiers de Pierre LEMAITRE , j'ai entamé ce roman ayant pour cadre  "La Grande Guerre".Quel talent , quelle écriture.UN RÉGAL!

Le premier chapitre , terrifiant, visuellement hallucinatoire et humainement tragique ressemble à l'ouverture d'une oeuvre musicale qui donne le tempo, expose le thème majeur , l'argument de l'oeuvre. La figure du capitaine Pradelle ,un condensé , un concentré de toutes les turpitudes humaines,militaire,financière,sociale,amoureuse... a "hanté" toute ma lecture.Arriviste de grande envergure,il vit les dernières heures de la guerre comme une plus-value d'honneur,quitte à marcher sur les principes moraux humains les plus élémentaires.L'ombre du vautour plane,ombre maléfique,cauchemar récurrent d'un des 2 soldats qu'il a voulu écraser comme de vulgaires blattes. C'est une vraie galerie de personnages,tous hauts en couleur que nous propose l'écrivain. Les Labourdin, Morieux,Merlin et bien sûr le père Péricourt... sont les acteurs de cette tragi-comédie de l'après-guerre. Chacun y joue un rôle décisif, manipulant ou manipulé. Peu importe. Il y a du ZOLA ou/et  du BALZAC dans cette façon de décrire des atmosphères ( par exemple, le misérable taudis où Albert héberge Édouard ) des rivalités , les passions humaines, les petites ou grandes lâchetés,notamment celle d'un père qui se prend d'affection pour un fils qu'il croit mort et qu'il n'a pas su aimer...     

  Et donc , ce roman , c'est du grand art.                      
Voici,comme mise en bouche quelques extraits exemplaires de ce style ,de cet art du portrait:


"Labourdin était un imbécile sphérique : vous le tourniez dans n'importe quel sens, il se révélait toujours aussi stupide, rien à comprendre, rien à attendre. .. p 443
Malgré son agacement, M. Péricourt avait vis à vis de Labourdin des bontés d'agriculteur. "Expliquez-moi ça", lui disait-il parfois avec cette patience qu'on ne prodigue qu'aux vaches et aux imbéciles.p493


L’immensité de sa peine était décuplée par le fait qu’au fond, c’était la première fois qu’Edouard existait pour lui. Il comprenait soudain combien, obscurément, à contrecœur, il avait aimé ce fils ; il le comprenait le jour où il prenait conscience de cette réalité intolérable qu’il ne le reverrait jamais plus...
Ses pleurs reprirent d’un coup lorsqu’il comprit pourquoi il souffrait à ce point. Il mordit les draps à pleines dents et poussa un long beuglement étouffé, rageur, désespéré, c’était une peine effrayante qu’il vivait là, démesurée, dont il ne se sentait pas capable. D’autant plus violente… qu’il ne… Les mots lui manquaient, sa pensée semblait comme liquéfiée, anéantie par un malheur incommensurable. Il pleurait le mort de son fils. p 187



Au début du conflit, cette vision sentimentale, Albert la partageait avec bien d’autres. Il voyait des troupes sanglées dans de beaux uniformes rouge et bleu avancer en rangs serrés vers une armée adverse saisie de panique. Les soldats pointaient devant eux leurs baïonnettes étincelantes tandis que les fumées éparses de chaque obus confirmaient la déroute de l’ennemi. Au fond Albert s’est engagé dans une guerre stendhalienne et il s’est retrouvé dans une tuerie prosaïque et barbare qui a provoqué mille morts par jour pendant cinquante mois. p 27 (souligné par moi.) 

"Le général Morieux paraissait au moins deux cents ans de plus.Un militaire,vous lui retirez la guerre qui lui donnait une raison de vivre et une vitalité de jeune homme,vous obtenez un croûton hors d'âge.Physiquement,il ne restait de lui qu'un ventre surmonté de bacchantes,une masse flaccide(?) et engourdie sommeillant les deux tiers du temps.Le gênant,c'est qu'il ronflait.Il s'effondrait dans le premier fauteuil venu avec un soupir qui ressemblait déjà à un râle,et  quelques minutes plus tard sa brioche commençait à se soulever comme un Zeppelin, les moustaches frissonnaient à l'inspiration,ça pouvait durer des heures ....... personne n'osait le réveiller. p 372. (souligné par moi.)


C'était un homme assez vieux avec une tête très petite et un grand corps qui avait l'air vide, comme une carcasse de volaille après le repas. Des membres trop longs, un visage rougeaud, un front étroit, des cheveux courts plantés très bas, presque à se confondre avec les sourcils. Et un regard douloureux. Ajoutez à cela qu'il était habillé comme l'as de pique, une redingote épuisée à la mode d'avant-guerre, ouverte, malgré le froid, sur un veston de velours marron taché d'encre et auquel il manquait un bouton sur deux. Un pantalon gris sans forme et surtout, surtout, une paire de godasses colossales, exorbitantes, des grolles quasiment bibliques.

Les quatre hommes en restèrent muets.
                           (Première apparition de Joseph Merlin)








                                                                                                                                                                                                                

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