lundi 20 mars 2023

THE FABELMANS de Steven SPIELBERG


 FILM

Tout comme BABYLON, ce film semble avoir été boudé par le public américain.
Nommé aux Oscars dans les catégories "Meilleur Film" et "Meilleur Réalisateur",il est sorti bredouille.
Personnellement, j'ai trouvé ce film de 2h30 très inégal.
Certains passages sur l'ambiance familiale et les excentricités de la mère insistent ...inutilemen
Le personnage du père endossé par Paul Dano ( inoubliable grand frère de Little Miss Sunshine) reste si mièvre,mi-débile.
Par contre, les essais du jeune Sam,sa découverte de la caméra, les premiers collages de rush,les cadrages d'abord hasardeux, puis mieux maîtrisés,déjà une direction d'acteurs ( dans la scène d'attaque : ma préférée🌹) aussi un zeste d'effets spéciaux... sont des moments passionnants.
On comprend que S.Spielberg n'ait réalisé ce film que maintenant.
Se pencher sur la genèse d'un rêve...,d'un incroyable talent appartient aux bilans d'une vie.

dimanche 19 mars 2023

EMPIRE OF LIGHT de SAM MENDES


 FILM

Quelle actrice😮 ❤ OLIVIA COLMAN.
Quel charisme!!!
Sa palette d'expression est immense,oscillant entre le mélancolique et le bouillonnant, entre la sage Vesta et la Virago...
Elle apporte toujours à son jeu une dose d'ingénuité, de fraîcheur.
Un régal.
Ce film de SAM MENDES est une ode à la fragilité, à la douceur.
Tout en délicatesse.
Le réalisateur rend hommage au cinéma à travers le devenir d'une salle, de ses employés, de son projectionniste.
Il filme ce lieu avec tendresse...même les lieux désaffectés du grenier où règne l'obscurité au-dessus de la lumière.
Un parfum de nostalgie plane sur cette salle de cinéma des années 80...avec cette lumineuse séquence d'ouverture⭐🎊
A voir absolument 🌹
Voici le lien d'une interview de SAM MENDES sur la BBC:
 
 

 
 
 

lundi 20 février 2023

GUERRE ET TÉRÉBENTHINE de Stefan Hertmans



 LIVRE

C'est le troisième livre de l'écrivain belge néerlandophone que je lis et aussi le plus ancien.En effet,il a été traduit en 2015 en français et en 15 langues,d'où une reconnaissance internationale,amplement méritée.

Quel livre!quelle écriture!quelle plongée dans l'horreur de la guerre 14-18 par le biais des écrits de son grand-père,écrits que S.Hertmans a passé 4 ans à retravailler pour nous partager cet incroyable récit.Ce grand-père est une sacrée figure, non seulement l'homme,le fils,le mari...mais surtout le soldat qu'il a été,capitaine admiré de ses troupes,représentant ces valeurs de l'honneur,du dévouement,du sacrifice.Toujours prêt à partir pour une mission dangereuse,pas d'hésitation chez lui;il y va au péril de sa vie et revient 3 fois blessé au front.Un héros donc récompensé par plusieurs décorations et croix honorifiques.Le récit de ces combats d'août 1914,notamment "le cauchemar de Schiplaken",p231....est terrifiant.L'écrivain parvient à nous faire ressentir la peur,la puanteur,le manque de nourriture,l'abandon ressenti par ces jeunes hommes livrés aux tirs nourris de l'ennemi...On s'enfonce dans la boue avec eux,on est au feu,on crève de froid,de faim,de peur,on sent la mort ...L'écrivain a l'art de nous plonger dans le concret de ces faits de guerre et les mots sont autant de fenêtres visuelles,sensorielles...Ce n'est pas un film et pourtant l'impression de vivre en 3D est intense.

Mais ce grand-père,Urbain Martien,était aussi un artiste qui avait appris à peindre aux côtés de son père,très doué pour les fresques,notamment celles qu'il exécuta dans un petit monastère de Liverpool.Ce passage où Urbain retrouve ce monastère de Liverpool lors d'une revalidation est un sommet d'émotion:il découvre le visage de son père dans celui de St François et son propre visage dans les traits du fils peint,p283.

Plusieurs photos illustrent les propos,parfois des lieux,des objets ou les tableaux peints par le grand-père.Deux œuvres d'art célèbres sont évoqueés:un "Saint Martin et le mendiant" de Van Dyck,p387... et surtout la "Venus au miroir" de Velasquez à la National Gallery de Londres que l'écrivain visite avec son fils en 2012,p53.Coïncidence troublante:son grand-père en a réalisé une copie qui est en lien avec son grand amour,ce qui nous est révélé à la fin de l'histoire,car S.Hertmans sait vraiment construire un récit,ce qui participe à son talent.Pour moi,l'un des plus beaux passages sur ce grand-père:

"Passion secrète,doctrine secrète qui ne nous apprend rien.Fidèle à ce qui n'était pas,mais qui déterminait tout,donnait forme,accordait une signification secrète.Le plus important,il ne pouvait le partager avec les autres.Alors il peignait des arbres,des nuages,des paons,la plage d'Ostende,une basse-cour et des natures mortes sur des tables à moitié débarrassées,un immense travail de deuil,silencieux,dévoué pour apaiser les pleurs du monde jusque dans les choses les plus quotidiennes."p386.

Voici 2 photos et un lien vers un entretien littéraire de 55 minutes avec l'écrivain qui date de 2018:

ttps://www.youtube.com/watch?v=e2q22BBWKdE&ab_channel=ComédieDuLivre



 



jeudi 9 février 2023

LA VIE ORDINAIRE de Adèle Van Reeth


 LIVRE

La philosophe Adèle Van Reeth entreprend une large réflexion sur la vie ordinaire,ses moments forcément répétitifs qui rythment nos vies à tous.C'est un exercice de philosophie assez plaisant à lire,car elle a du style.Elle sait tourner une phrase et ne manque pas d'humour et d'autodérision***. Très vite,elle distingue "l'ordinaire" du "quotidien" (p28) et précise les définitions du mot ordinaire,les synonymes,l'étymologie latine,etc...,p68.Elle multiplie les références à plusieurs penseurs-phare comme Emerson,Nietzsche,Camus aussi... Tous ont écrit des choses intéressantes sur la banalité de nos existences.Elle n'hésite pas non plus à partager des épisodes de sa vie personnelle:ses voyages,son rapport à ses beaux-enfants,ses vacances consacrées à l'écriture et surtout sa maternité:la grossesse,les souffrances de l'accouchement,les premiers temps avec bébé....C'est parfois un peu pathétique,mais pas déplaisant.

Bref,ce petit essai qui oscille entre profondeur philosophique et soubresauts d'une "vie ordinaire" a le mérite d'être accessible à tout lecteur,surtout lectrice qui à certaines pages trouve matière à s'identifier.

*** l'un ou l'autre extrait révélateur du style :

 "Le problème avec la vie quotidienne, c’est que les soucis n’y sont jamais graves. Ce ne sont pas des catastrophes, mais des petites pointes, des « épines domestiques » (le mot est de Montaigne) fourbes car imprévisibles, continuelles et inévitables. Un évier à déboucher, une toiture à réparer, et les rêves d’harmonie s’effondrent. Nous sommes si peu. Les tracas domestiques sont des drames en robe de chambre. À tout moment, ces phrases (« qui voudra de la tisane ? »), objets (le dessous de plat en liège légèrement brûlé) ou événements (« j’ai ENCORE perdu mes clefs, tu m’ouvriras ? ») transpercent l’épais matelas de déni qui enrobait, croyais-je, mon univers domestique",p56.

En vacances,on vient la convier à un jeu de société qu'elle déteste:

"....autour du plateau de Monopoly... c'est une marmite percée dont l'eau glacée se répand goutte après goutte sur un crâne qui n'a rien demandé et qui rêve d'aller se coucher ou de travailler en paix."p72. 

 

dimanche 5 février 2023

BABYLON de Damien Chazelle


 FILM

Quel dommage d'avoir gâché ce film de 3h par tant de fioritures,de scènes orgiaques gratuites, par tant de couleurs flashi, de crème fraîche dégoulinante🍨🍧...
Car si on enlève tout cet habillage, il reste des scènes d'une rare intensité comme celle du maquillage au cirage noir du trompettiste, incroyable acteur😮...ou la scène de vérité implacable entre la productrice et un Jack Conrad vieillissant, scène sublime par sa férocité....
Et aussi un casting 4 étoiles 🌟 🌟 🌟 🌟...tous excellents.
J'ai aussi souvent eu l'impression de voir la copie plutôt que l'original.
A savoir,le loup de Wall Street ou Gatsby ou Once upon in Hollywood ...voir même des relents de fin de règne, en mode Le Guépard.
La musique et les scènes de trompettiste m'ont rappelé WHIPLASH que j'ai tellement aimé.

jeudi 2 février 2023

V 13 d'Emmanuel CARRÈRE

LIVRE

On sait qu' Emmanuel Carrère est un grand écrivain,il le prouve une fois encore dans cette chronique judiciaire qu'il a tenue près d'un an au procès des attentats du 13 Novembre 2015.Chaque semaine,il envoyait au Nouvel Obs un compte-rendu du déroulement du procès et c'est devenu un livre divisé en 3 parties inégales:les Victimes,les Accusés et la Cour.

Il le rappelle dans une interview de France Culture ,c'est le problème du Mal,les motivations des criminels quel qu'ils soient qui est au centre de son attention,de son intérêt.Rappelons-nous L'Adversaire,cette plongée vertigineuse dans l'histoire de ce menteur devenu criminel.Cette fois encore,c'est l'âme humaine à la dérive,la face sombre de l'être humain,ses secrets,l'inavoué et l'inavouable qui l'intéressent.C'est un travail d'équilibriste,toujours dans la nuance et le tact qu'il réalise.On est touché,on vibre au récit des souffrances des victimes qui témoignent au long des audiences de ce qu'elles ont vécu et qui les marque à jamais***.Et pourtant il n'y a ni voyeurisme,ni misérabilisme dans ce texte éminent.On s'en tient à des faits,on rend compte du drame personnel et collectif.

L'attention portée aux accusés est tout aussi forte.Vont-ils parler,dire quelque chose, être plus précis ou alors se murer dans le silence,ce qui est leur droit? Ça dépend de l'un ou de l'autre.Mais tant de questions restent sans réponses,tant de zones d'ombre subsistent que Carrère débusque par-ci par-là.Jamais donneur de leçons,jamais exagéré,ce qui ne l'empêche pas de poser des questions éthiques,existentielles centrales:Par exemple,plus dur d'être le père d'une victime ou le père d'un terroriste?Question sans réponse...,on ne compare pas des souffrances,juste on imagine...Il se pose aussi la question de la légitimité de ce procès-fleuve pour les survivants,parents,frères,soeurs,époux ou épouse et il répond ,p302.C'est magnifique.

..."Mais c'est une façon de recueillir ce qui a été dit et,au lieu de le disperser,de transformer l'affect en droit.C'est cela ou cela devrait être cela un procès:au début on dépose la souffrance,à la fin on rend la justice."

On peut espérer un "certain" APAISEMENT pour toutes ces parties civiles,ces survivants,ces témoins à jamais marqués dans leur chair et dans leur esprit.

*** E.Carrère évoque les témoignages,p55,56:

..."Ce ne sont pas des faits qui s'énumèrent et s'épuisent, mais des voix qui se déploient, et toutes - enfin presque toutes - sonnent juste. Presque toutes ont l'accent de la vérité. C'est ce qui fait que cette longue séquence de témoignages n'est pas seulement terrible mais magnifique, et ce n'est pas par curiosité morbide que nous qui suivons le procès ne changerions nos places pour rien au monde ni n'envisageons calmement la perspective d'en rater une journée. J'ai lu, entendu dire et quelquefois pensé que nous vivons dans une société victimaire, qui entretient une confusion complaisante entre les statuts de victimes et de héros. Peut-être, mais une grande partie des victimes que nous écoutons jour après jour me paraissent bel et bien des héros. À cause du courage qu'il leur a fallu pour se reconstruire, de leur façon d'habiter cette expérience, de la puissance du lien qui nous unit aux morts et aux vivants. Je me rends compte en relisant ces lignes qu'elles sont empathiques, mais je ne sais pas comment le dire moins emphatiquement : ces jeunes gens, puisque presque tous sont jeunes, qui se succèdent à la barre, on leur voit l’âme. On en est reconnaissant, épouvanté, grandi."

 

lundi 16 janvier 2023

LA VIE CLANDESTINE de Monica Sabolo


 LIVRE

A un moment compliqué de sa vie personnelle,la romancière tombe sur des articles/Paris Match et autres qui évoquent les agissements du groupe terroriste "Action directe" dans les années 80,elle s'y intéresse.Commence alors une sorte de quête/enquête sur les faits,les protagonistes de ce mouvement,en particulier deux femmes dont elle sonde les motivations.Elle retrouvera leurs coordonnées,adresses,téléphone et les contactera.Elle recoupe alors leur trajectoire avec des faits plus intimes de son histoire personnelle.

C'est cet entremêlement de deux histoires,l'une publique,l'autre privée qu'elle réussit très bien,car les fils ténus qu'elle tire se rejoignent,lui permettant de répondre à certaines questions et de comprendre ce qu'elle a si longtemps tenu caché,secret...sous la surface.   Elle avance dans cette compréhension d'elle-même par petites touches,à pas lents,"step by step".On sent que la voie du pardon,de la réconciliation avec elle-même s'est ouverte.Elle est apaisée.Ce roman est terriblement attachant.

L'écriture de Monica Sabolo doit être saluée,écriture à la fois fine,sensible et percutante.Voici quelques extraits: 

 "Jai lu quelque part que le souvenir n'est pas le souvenir de l'instant T où l'évènement a eu lieu, mais le souvenir de la dernière fois où le souvenir a surgi. Nos souvenirs sont des souvenirs de souvenirs de souvenirs."p35***

 "Il arrive que l'univers nous envoie des signes. Nous pressentons que celui-ci veut nous dire quelque chose, mais le message est brouillé. Nous sommes aux aguets, en proie à une culpabilité inquiète, et nous ne comprenons pas l'essentiel : ce n'est pas l'univers qui s'adresse à nous, mais une part mystérieuse de nous-mêmes qui s'adresse à lui. Il ne nous interpelle pas, il nous répond." p15

sur la notion de dissociation en psychologie:p211.

"...Alors que ma mère et mon frère me croient plongée dans le récit d'un groupe terroriste des années 80,je confectionne un engin sophistiqué,composé de papier,de nitro-glycérine et d'une mèche à combustion lente,qui finira par tout faire sauter."p164

  ... "Je viens d’un lieu de ténèbres. Un lieu auquel j’ai essayé d’échapper durant mon existence entière, mais où je me rends simplement en fermant les yeux. Il est creusé dans la roche, c’est une galerie froide que j’arpente dans l’obscurité. Les parois suintent une matière visqueuse qui me recouvre, moi aussi. C’est une prison familière, dans laquelle je marche sans jamais voir le jour, et qui se déploie sous la surface de la terre, à la façon d’un réseau de spéléologie, ou de catacombes. Et même si je réussis parfois à m’évader, que j’ai quelquefois muré son entrée, croyant la rendre impraticable pour toujours, même si je flotte sans relâche pour nettoyer ma peau, la vérité est que je retourne là-bas, encore et encore, aimantée par une force invisible.L’attraction de ce lieu est celle, dissimulée, fourbe, qui m’a conduite à écrire ce livre, celle qui m’a emmenée jusqu’ici, auprès de ces êtres qui se promènent aux aussi dans les souterrains du monde. Mais je sais désormais que ce lieu n’est pas le mien."p302

"L’histoire appartient aux êtres qui parlent fort, effaçant ceux dont la parole est plus modeste ou plus fragile. Ceux qui doutent, craignent de blesser ou de trahir, ceux qui n’ont pas les mots, ceux qui ne savent pas. Ceux qui ont des regrets, des remords, ceux qui se sentent coupables et qu’on n’entend pas. Ce sont eux que je cherche, parce qu’ils me ressemblent."