E.M. CIORAN est un écrivain roumain venu étudier la philosophie en France,en 1937.
Le précis de décomposition est son premier ouvrage écrit en français.D'abord admirateur de Bergson,il fut ensuite fasciné par Nietzsche.
Dès les premières pages de cet essai,on est pris par la précision de la langue au service d'une pensée si percutante.Chaque phrase est un bijou de style et nécessite d'être lue et relue,reconsidérée et méditée.J'en citerai quelques-unes.
Le livre se présente sous la forme de courts chapitres (2,3 pages) où se développe une pensée originale,mélange de pessimisme lucide ou de réalisme assumé.
Des thèmes bien philosophiques comme le passage du temps,la solitude,l'ennui,la déchéance des civilisations,les larmes,le non-suicide,les ravages du fanatisme et des religions sont passés en revue.Et c'est sans appel.C'est féroce,ça dérange,ça déménage,ça dit magnifiquement des vérités que nous n'oserions même pas formuler.
C'est fort,c'est virulent,sans jamais être désespéré,car cette pensée n'est pas nihiliste.
Ce livre est un voyage qui nous sort de notre confort,de notre conformisme aussi,de nos certitudes.Elles sont mises à l'épreuve et invitent à repenser notre condition humaine.
N'est-ce pas là l'essentiel pour une oeuvre philosophique?
Quelques extraits:
L'homme est l'être délirant par excellence, en proie à la croyance que quelque chose existe.
Dans tout homme sommeille un prophète, et quand il s'éveille il y a un peu plus de mal dans le monde... La folie de prêcher est si ancrée en nous qu'elle émerge de profondeurs inconnues à l'instinct de conservation. Chacun attend son moment pour proposer quelque chose: n'importe quoi. Il a une voix; cela suffit. Nous payons cher de n'être ni sourds ni muets.
Toute idée devrait être neutre ; mais l'homme l'anime, y projette ses flammes et ses démences : le passage de la logique à l'épilepsie est consommée... Ainsi naissent les mythologies, les doctrines, et les farces sanglantes. Point d'intolérance ou de prosélytisme qui ne révèle le fond bestial de l'enthousiasme. Ce qu'il faut détruire dans l'homme, c'est sa propension à croire, son appétit de puissance, sa faculté monstrueuse d'espérer, sa hantise d'un dieu.
L'injustice gouverne l'univers. Tout ce qui s'y construit, tout ce qui s'y défait porte l'empreinte d'une fragilité immonde, comme si la matière était le fruit d'un scandale au sein du néant. Chaque être se nourrit de l'agonie d'un autre être; les instants se précipitent comme des vampires sur l'anémie du temps; - le monde est un réceptacle de sanglots... Dans cet abattoir, se croiser les bras ou sortir l'épée sont des gestes également vains. Aucun déchaînement superbe ne saurait secouer l'espace ni ennoblir les âmes.
L'obsession de l'ailleurs,c'est l'impossibilité de l'instant et cette impossibilité est la nostalgie même.p49.
Si par hasard ou par miracle,les mots s'envolaient,nous serions plongés dans une angoisse et une hébétude intolérables.Ce mutisme subit nous exposerait au plus cruel supplice.C'est l'usage du concept qui nous rend maîtres de nos frayeurs.
Nous disons LA MORT ... et cette abstraction nous dispense d'en ressentir l'infini et l'horreur.p173.
La seule fonction de l'amour est de nous aider à endurer les après-midi dominicales,cruelles et incommensurables,qui nous blessent pour le reste de la semaine -- et pour l'éternité.!!! p38.
L'homme recommence chaque jour,malgré tout ce qu'il sait,contre tout ce qu'il sait.p67.
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