dimanche 2 septembre 2018

TROIS VISAGES de Jafar PANAHI

FILM

Après la confession plus que troublante d'une jeune fille désirant être actrice,postée sur une vidéo,on embarque avec le cinéaste iranien dans un 4x4 à sa recherche.
L'habitacle,lieu de refuge,lieu privé cher à Panahi interdit de tournage dans son pays est la figure-phare du film.
On s'y repose,on y partage des points de vue,des sentiments contrastés tandis qu'on pénètre lentement dans ces montagnes peu éloignées de la capitale Téhéran.
Il est aussi le lieu d'une métamorphose des protagonistes,d'un revirement qui alimente la narration.
La tension,les doutes,les crispations du début cèdent peu à peu à l'harmonie,à la détente,à l'accueil aussi.
Cet improbable road movie qui fait halte dans le village archaïque de la jeune fille montre pour les dénoncer, les traditions désuètes,l'obscurantisme,la condition féminine bien mal menée.Sans jamais être moraliste,le film plaide pour l'ART avec un grand A,pour le 7ème Art en particulier,pou l'expression et la liberté artistiques,surtout celles des femmes,des actrices.
C'est donc un film inédit,intelligent,très bien raconté,très bien filmé qui dépoussière,rajeunit...On sort du 4x4 tout ragaillardi.

Voici 2 photos,celle de la jeune fille et celle de l'actrice confirmée en Iran qui a accepté ce rôle porteur et délicat.


                          
                              
 

lundi 6 août 2018

Le chasseur de lapins de Lars Kepler et Sur un mauvais adieu de Michael Connelly

LIVRE
Excellent polar arrivé dans nos librairies et bibliothèques au printemps.
Un ministre assassiné,une prostituée retrouvée en état d'hébétude dans sa maison et nous voilà partis sur la piste terroriste.Cependant,certains détails intriguent les enquêteurs:le laps de temps avant l'exécution,le témoin épargné...Bientôt,d'autres victimes... selon un même modus operandi.On a bien affaire à un tueur isolé en mal de vengeance.
Il faut d'urgence établir des liens entre les victimes pour empêcher d'autres meurtres.
Un lieu,une école privée fréquentée 30 ans auparavant constitue une solide piste,un lien tangible entre les victimes ou...futures victimes... 
L'horloge tourne,pas un instant à perdre pour l'inspecteur Joona Linna et sa fidèle assistante Saga Bauer.

                                                   
LIVRE
Le titre anglais "The Wrong Side of Goodbye" est beaucoup plus pertinent.
L'inspecteur Harry Bosch est sollicité par un magnat de l'aéronautique pour enquêter sur un éventuel descendant lié à une relation qu'il a eu dans sa jeunesse.Tests ADN,enquête sur certains événements de la guerre au Vietnam,déplacements au Mexique seront concluants,ce qui n'est bien sûr pas du goût des membres du conseil d'administration inquiets de voir filer une conséquente manne financière.
Parallèlement, un violeur en série qui opère toujours en coupant la moustiquaire des fenêtres et ne semble pas se soucier de laisser des traces ADN intrigue l'équipe.
L'inspecteur va bien sûr offrir ses services pour traquer ce "Screen Cutter".
C'est chaque fois un plaisir de découvrir un polar de M.Connelly.Ce talent d'intéresser le lecteur grâce à un style simple et efficace,un rythme soutenu.C'est parfait.

  

mardi 10 juillet 2018

CALL ME BY YOUR NAME de Luca Guadagnino

FILM
Nord de l'Italie,été 1983,une villa,un bassin pour se rafraichir et des fruits juteux en profusion dans le verger...
Voilà pour l'ambiance lascive,propice à n'importe quelle romance.
Cette fois,c'est le jeune garçon de la famille qui tombe sous le charme d'un invité américain,intéressé par les recherches archéologiques du père de famille,"il professore".
Il y a du Pasolini dans Teorema* (1968) et du James Ivory dans Room with a view (1986)...Le thème de l'invité ,de l'étranger qui vient chambouler l'ordre établi et remue les passions et aussi cette ambiance sensuelle propre à la Toscane.
Et donc on assiste à la genèse d'un premier amour,fulgurant,dévastateur qui s'empare du jeune homme.Cette lente et implacable montée du désir est filmée au plus près...avec sa maladresse,ses contradictions "je t'attire/je te rejette",ses instants de désespoir puis de ferveur.
On retrouve le jeune Elio à la fin du film si perdu,si désemparé,complètement laminé après les premiers "feux de l'amour".
Très touchant.L'acteur est saisissant de vérité.
On peut reprocher un rien d'esthétisme au film qui accumule les jolis plans,les contrastes savamment photographiés...et cette lenteur qui génère par moments l'ennui.

                                       
Elio méditatif,éploré devant le feu de cheminée.C'est le dernier plan du film.

*Teorema,ce film a marqué notre génération soixante-huitarde. 
Terence Stamp,acteur génial est l'invité qui va bouleverser la vie de chaque membre de la famille,dans une relation interpersonnelle intense.Il est une figure quasi mystique.
Un tout grand film des années 60. Voici une photo.

                                               

 

dimanche 8 juillet 2018

LE LAMBEAU de Philippe LANÇON

LIVRE

Tu lis ce "roman" ... et tu ne te plains plus jamais!!!

PHILIPPE LANÇON,journaliste à Libé,grièvement blessé lors de l'attentat contre Charlie Hebdo,le 7 janvier 2015 partage ce drame terrible qui l'a laminé.
La veille,le matin,l'instant fatal,les secours,l'hôpital...et puis,et puis... la lente et douloureuse reconstruction faciale,l'invraisemblable série d'interventions chirurgicales entre confiance et désespoir.

L'écrivain parvient à garder son lecteur,car au-delà des détails concrets de ce chemin de croix médical,lui reviennent des souvenirs d'enfance,des sensations oubliées et ravivées,mais surtout ce sont des lectures-clés qui l'accompagnent lorsqu'il se rend au bloc:
PROUST ( la mort de la grand-mère),Thomas MANN (la Montagne Magique,p398),mais aussi KAFKA (Lettres à Milena)...Il s'accroche à ces livres,comme un naufragé à ses bouées de sauvetage.
La musique aussi lui est précieuse,celle de Bach.Certains films...
Ses proches,ses parents,sa compagne,ses amis sont là bien sûr,mais des liens humains d'une grande intensité se tissent avec le personnel hospitalier:les infirmières,les kiné,sa chirurgienne Chloé...Ces êtres qui l'accompagnent,le réconfortent,soulagent douleur physique autant que perdition mentale.
Car il ne sait plus exactement s'il appartient encore au monde des vivants... ou si une partie de lui s'en est allée avec les morts.
Cet entre-deux,ce purgatoire flottant,ce sas de décompression sont désormais son quotidien.
Et puis,...c'est le premier yaourt,p400...un "simple yaourt nature avec un peu de sucre".Première nourriture solide qu'il ingurgite depuis le 7 janvier...

Jamais misérabiliste,bouleversant d'humanité,ce livre est surtout remarquablement écrit.
( LE LAMBEAU est un terme qui désigne notamment "une greffe du péroné sur ce qui reste de mâchoire pour combler un déficit d'os."p249.)


Voici quelques extraits qui m'ont touchée:
"Il m’avait fallu atterrir en cet endroit, dans cet état […] pour sentir ce que j’avais lu cent fois chez des auteurs sans tout à fait le comprendre : écrire est la meilleure manière de sortir de soi-même, quand bien même ne parlerait-on de rien d’autre que de soi."

"Mes parents sont arrivés...je les ai regardés d'en bas et perpendiculairement ...Eux souffraient,je le voyais,mais moi,je ne souffrais pas,j'étais la souffrance."p129

Un souvenir du marché de Mogadiscio lui revient,celui d'une fillette avec une kalachnikov,p272...Voici ce qu'il écrit:
"Je me suis rappelé cet instant...je l'ai vu comme né d'un autre,parce que je n'étais absolument plus celui qui l'avait vécu."





IDAHO de Emily Ruskovich

LIVRE

Roman bouleversant,si original dans son écriture et sa construction narrative.
Bouleversant et pourtant sans pathos facile.
Juste des faits,des rencontres,des ambiances toujours poétiques et cette façon particulière de croiser les époques qui donne au lecteur la sensation de grimper sur l'échelle du temps,échelon après échelon pour ensuite mieux redescendre...
Le récit s'organise à partir d'un drame familial:une jeune enfant a été tuée par sa mère.
Meurtre impensable,insensé,inexplicable dont l'élucidation progressive permet à l'écrivaine de maintenir notre intérêt.
Pourquoi ce geste?dans quel contexte?est-ce lié à un air fredonné par la sœur aînée?à une trahison du père? Ces questions hantent la lecture.
Ajoutons à cela une écriture subtile,légère,parfois incantatoire et cette humanité dont la jeune américaine fait preuve dans l'approche de chacun de ses personnages.
C'est son premier roman.
26 ans et un immense talent👏👏

lundi 25 juin 2018

KISANGA de Emmanuel Grand

LIVRE

Emmanuel GRAND est un excellent conteur.
Ses deux livres précédents,Terminus Belz,2014 et Les salauds devront payer,2016 en sont la preuve.Il confirme qu'il sait raconter une histoire avec un style alerte et simple.
Le rythme est soutenu,qualité majeure d'un polar réussi.
Les fils de l'intrigue se tressent peu à peu,les protagonistes se mettent en place et chacun joue son rôle jusqu'à la scène finale.
La page 345 surprend le héros autant que le lecteur,tous deux bien piégés par cette arnaque politico-économique.
L'enjeu étant le sous-sol si riche du Katanga,capitale Kisangani,d'où opération Kisanga qui s'avère très vite illégale,voire frauduleuse et criminelle. 

Voici le lien de ma critique de 2016 concernant les précédents polars:
 http://parlonscinebouquins.blogspot.com/2016/03/les-salopards-devront-payer-de-emmanuel.html

mardi 5 juin 2018

GUERRE ET PAIX,Tome II de Léon TOLSTOÏ

              Le Tsar Alexandre Ier et Napoléon à Tilsit,juillet 1807.



Je relis GUERRE ET PAIX de Léon Tolstoi,Tome II. 
                                         

On est en 1812...
Napoléon franchit le Niemen,atteint Smolensk,subit d'énormes pertes à Borodino et découvre Moscou vidée de ses habitants et bientôt incendiée.
Les personnages principaux eux aussi avancent sur le chemin de leur vie,fait d'épreuves,de trahisons,de révélations...
Ils s'humanisent,s'accomplissent,se conscientisent,se grandissent,montrant le meilleur d'eux-mêmes. 
*Le thème du PARDON est omniprésent : 
 *le prince Nicolas Bolkonsky meurt en demandant pardon à sa fille Marie qu'il a tant rudoyée... 
*le prince André pardonne à Natacha qui a trahi leur amour.
Il pardonne à son rival amoureux,Anatole Kouraguine en le voyant blessé à ses côtés... 
En pardonnant aux autres,ces êtres se pardonnent à eux-mêmes et s'apaisent.

*Un personnage historique,KOUTOUSOV a retenu mon attention. 
Nommé commandant en chef par le Tsar Alexandre Ier,il est le symbole de cette âme russe,patiente,..voire passive,privilégiant l'attente à l'affrontement,la fuite au combat. Intuitivement,il sent que Napoléon s'épuise,il le laisse s'enfoncer toujours plus avant dans le pays,sachant que l'hiver russe se chargera de l'achever tel un animal blessé. 
Figure profondément mystique,ce Koutousov.

*Enfin,les nombreuses réflexions de l'écrivain sur cette Russie envahie,sur le rôle des 2 grands protagonistes de cet affrontement,le Tsar et Napoléon,sur les causes et les effets,...bref sur cette histoire russe sont passionnantes.
Le déterminisme historique prévaut chez Tolstoï.Pour lui,les êtres, fussent-ils grands,sont plus le jouet du destin que les maîtres des événements.
Quelques extraits:
1) sur NAPOLÉON:
"Napoléon avait entrepris la campagne de Russie parce qu'il ne pouvait pas ne pas venir à Dresde,parce qu'il ne pouvait pas ne pas être grisé par les honneurs,ne pouvait pas ne pas revêtir l'uniforme polonais [...]les innombrables individus qui prenaient part à cette guerre...tous n'étaient que les instruments inconscients de l'histoire et accomplissaient une oeuvre qui leur était cachée mais que nous comprenons."p.134.
Et aussi:"Ce qui devait s'accomplir,s'accomplit."p.134.
 
2) Sur l'incendie de MOSCOU:
 « Moscou brûla parce qu’elle avait été placée dans les conditions où toute ville construite en bois doit brûler […]. Moscou, parce que ses habitants l’avaient quittée, devait brûler tout aussi inévitablement que doit prendre feu un tas de copeaux sur lequel pendant plusieurs jours tombent des étincelles. […] Moscou devait brûler comme doit brûler tout village, toute usine, toute maison abandonnés par leurs propriétaires et où on laisse des étrangers loger et faire leur cuisine. » p.478.

                                       


Voici un extrait d'un article consacré à l'incendie de Moscou dans Guerre et Paix:

"Les forces mystérieuses de l’Histoire
Ainsi pour Tolstoï, tous les acteurs de l’histoire, du plus simple au plus puissant, sont animés par des forces mystérieuses. Le simple soldat, le noble moscovite, les généraux russes Koutouzov et Barclay, les maréchaux Ney et Murat, et même les empereurs Napoléon et Alexandre, tous ne sont que des objets commandés par des forces qui les dépassent. Ce ne sont donc pas les hommes qui mènent les événements mais les événements qui mènent les hommes.(!!!)
Pour Tolstoï, les historiens de son temps réduisent en effet trop souvent l’histoire du monde à la marque de quelques grands hommes dont le commandement déciderait du destin de millions d’individus. 
Toutefois, dans la logique tolstoïenne, le chef d’État ou le commandant d’armée se trouvent toujours au cœur de multiples combinaisons d’éléments, d’intrigues, de luttes d’influences et de jeux de pouvoir qui, au final, ne leur laissent qu’une marge de manœuvre des plus limitées, rendant impossible toute forme de libre arbitre."

 https://philitt.fr/2014/11/05/lincendie-de-moscou-dans-guerre-et-paix-symbole-du-fatalisme-tolstoien/