lundi 27 avril 2015

ESPRIT d'HIVER de Laura KASISCHKE

LIVRE
                        L'ambiance est lourde entre une mère et sa fille,entre Holly et Tatty,en ce matin de Noël.Elles se retrouvent en tête-à-tête,isolées du monde suite à un blizzard tenace.
(Le père est à l'aéroport et les invités se sont décommandés).
L'ambiance est lourde donc.C'est une succession de règlements de compte,de petites allusions perfides,de reproches à peine voilés,de remarques mesquines...
L'ado semble dans un mauvais jour,ne répondant qu'à demi-mots ou pas du tout aux questions,demandes d'aide,tentatives de contact de sa mère.
C'est glauque,glaçant,pesant,voire oppressant.
L'écrivain,dont c'est le dixième roman,mélange habilement des détails prosaïques liés à la cuisson du rôti,à la robe de la jeune fille,à ses souliers à un monologue intérieur stérile de la mère qui tourne sur lui-même.
Qu'a-t-elle mal fait?mal compris? pourquoi ci,pourquoi ça?...sa fille dort-elle?(après avoir claqué la porte)...a-t-elle téléphoné à son copain?...
Mille questions l'assaillent,la plupart sans réponses.
La tension est palpable,l'affrontement permanent entre rage,culpabilité,regrets,inquiétude,accès incontrôlés de tendresse et frustration.
On sent qu'un drame se noue lentement,inexorablement...!!!
Un secret,une évidence va se révéler avec fulgurance à la mère qui a toujours vécu dans le déni.

Franchement...C'est mon premier roman de Laura KASISCHKE ....mais assurément le dernier.
C'est trop.Trop dur,trop tourmenté.

Même s'il faut reconnaître un style super efficace et prenant.

Exemples:
"Les carottes,quand Holly les sortit du bac à légumes,avaient l'air plus velues que dans son souvenir.De petits poils délicats les couvraient à présent et les fanes vertes semblaient  avoir poussé depuis qu'elle avait rapporté les légumes de l'épicerie...p145.

La mère Holly justifie son réveil tardif à Tatty/Tatiana:
"Oui,eh bien,cette année j'ai dormi tard....cette année, je me suis levée tard!Tue-moi,Tatty!Achève-moi simplement!Je t'en prie!"
Holly se tourna et força un rire contraint hors de ses poumons pour tenter de diluer le vacarme de sa colère,et également s'épargner l'indignité d'avoir perdu toute contenance,mais son coeur pulsait violemment,à cet endroit tendre à la base de son cou,ce qui lui donnait l'impression d'être une sorte de créature aquatique.
Comme s'il s'y trouvait des branchies affolées ..."  p83.



mardi 21 avril 2015

DU DOMAINE DES MURMURES de Carole MARTINEZ

LIVRE

Entre mythes païens et croyances religieuses,entre cruauté et fantaisie,se glisse ce récit d'une rare poésie.
Une pépite,une vraie.Tout droit venue de ce Moyen-Âge à la fois trouble,violent et fantastique.
Récit en JE.Une jeune fille de 15 ans,née au "Domaine des Murmures"au 12ème siècle,refuse l'époux qu'on lui destinait,préférant une vie de recluse dans une cellule proche du château.
Emmurée volontaire,notre héroïne se consacre à Dieu,à la prière et bien vite son histoire attire le voisinage.
Quelques extraits de ce début du roman,révélateurs de l'immense poésie du style:

"Et moi,je resterais en ma cellule,contemplant les univers que le Christ me donnerait à voir,immobile,toute à mon voyage vertical,à mon ascension par la prière et chacun saurait où me trouver,comme on sait trouver un moulin ou une tombe."  p50.

"Après seulement quelques mois,les pélerins en route pour Rome ou Saint-Jacques-de-Compostelle  ont commencé à faire un crochet par Hautepierre afin d'y rencontrer la recluse ... Je n'avais jamais tant reçu,tant parlé,du temps où,vivante,je devais garder la chambre,broder,chanter et obéir à mon père.
Tous ces êtres en mouvement venaient voir l'immobile et la vie passait devant moi,qui pourtant l'avais quittée"....
J'étais posée comme une borne à la croisée des mondes". p52.

Pouvoirs de confidente,de guérisseuse aussi,des âmes et des corps.Pouvoir de chasser la maladie et même la Mort qui semble avoir déserté le pays.
Puissance de cette innocente jeunesse qui protège,apaise,répare...et commande aussi.
Le récit réserve de jolis rebondissements.On se laisse surprendre et emporter par le courant de ce siècle où croisades,ferveur religieuse s'accompagnent de leur lot d'obscures intentions et de cruautés imbéciles.
La magie de ce roman,c'est qu'une histoire qui se passe au Moyen-Âge résonne en nous avec tant d'acuité,de pertinence.Nous sommes pénétrés de l'intérieur par ce souffle mystique.Nous devenons cette recluse, cette emmurée.
Quelle prouesse!!!

Merci à toi,Dominique, qui m'as recommandé cette lecture si forte.

Pour ceux qui s'intéressent à l'univers créatif de la romancière et à ses sources d'inspiration,voici le lien d'une video où elle s'en explique:

 https://www.youtube.com/watch?v=QcKMojfJPAM

NB: pour ouvrir ce lien,clique droit sur le lien ,ensuite choisir le Recherche Google /https...... 




 


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dimanche 5 avril 2015

LE DERNIER LOUP de Jean-Jacques ANNAUD


  FILM

Le dernier film de Jean-Jacques Annaud est une réussite esthétique.
Belles images,magnifiques paysages de Mongolie,visages expressifs des différents protagonistes,présence souveraine des loups,chasseurs intelligents et impitoyables,scènes hallucinantes de chasse tournées en nocturne...Une meute de loups traque un troupeau de chevaux semi-sauvages vers leur tombeau:un lac gelé.

MAIS quelle approche académique,comme l'histoire est indigente,le propos convenu!
L'éternelle et improbable alliance de l'homme et du loup,ce mélange attraction-répulsion,fascination-peur....tout ça nous est resservi dans le cadre majestueux de la Mongolie,propice à revisiter les mythes,à repenser l'harmonie de l'homme et de la nature.
Pour cela, il fallait éviter l'émotion facile,les allusions simplistes,un récit trop lisse.
Dommage. 

                                     

vendredi 20 mars 2015

WHIPLASH de Damien CHAZELLE

       
             FILM      


                                      



       Quelle tension dans ce film! Quel affrontement artistique ...et humain.

Un jeune batteur de jazz intègre une prestigieuse école de musique de New York.
Il a été repéré par "LE" professeur qui règne en maître incontesté sur ses élèves.Ses méthodes ne font pas dans la dentelle, loin s'en faut.Exigeant le ton juste,sensible à la moindre fausse note,il n'hésite pas à interrompre le morceau en cours,à reprendre le même passage...et cela ad nauseam.On reprend,on rejoue,on se fait insulter...Peu importe,"pourvu qu'on ait l'ivresse"...
Ces répétitions ressemblent à des joutes.La relation maître/élève est d'une grande violence.La tension extrême.On est comme sur un ring et les solos du batteur résonnent comme des gestes de combat.
Pas de cadeau, pas d'excuses,pas d'à peu près.On vise l'excellence
L'élève est poussé à l'extrême de ses limites,au-delà.Il craque.Ses mains saignent.Il continue.Avec acharnement,un acharnement destructeur.On se dit qu'il est fou,qu'il va en crever... La suite à l'écran!

Les deux acteurs sont étonnants.On ne voit qu'eux dans une série de champs-contrechamps.C'est le duel et rien que le duel qui est mis en lumière.

Merci à Geoffroy qui m'a recommandé ce film haletant.

                                       
 

LE CHARDONNERET de Donna TARTT

                                     

LE  CHARDONNERET

LIVRE  de 1.200 pages en poche.

L'art du suspense n'est pas l'apanage des seuls polars et thrillers.Donna Tartt nous en donne la preuve dans son roman.Au début de l'histoire,suite à un événement dramatique,le jeune Theo perd sa mère et se retrouve en possession d'un tableau d'une valeur inestimable.14 ans plus tard,il est dans une chambre d'hôtel à Amsterdam où il vit dans la crainte.Pourquoi?Que s'est-il passé?La romancière n'en dit rien.Pendant +/- 500 pages,elle raconte la vie tourmentée de l'orphelin à la dérive,ses rencontres,ses déménagements(New York/Las Vegas/ re-NewYork....),mais sans jamais évoquer explicitement le tableau.Le lecteur sait juste qu'il est bien emballé et caché dans une taie d'oreiller que l'enfant trimballe avec lui.Et donc nous sommes tenus en haleine,car de toute évidence,ce petit tableau (le titre du livre:"Le chardonneret") peint au 17ème siècle est l'enjeu,la pièce-maîtresse de l'histoire.

Le jeune Theo revenu à New York renoue avec l'antiquaire qui l'avait accueilli après le drame,il devient un excellent vendeur d'antiquités,tente de renoncer à ses addictions diverses,vit l'une ou l'autre aventure amoureuse ....Quand tout à coup,p686:grand coup de théâtre,événement tout à fait improbable qui réveille le lecteur ....
C'est palpitant. 
P 786: nouveau coup de théâtre !!! Oulala .....Je n'ai plus lâché le livre.

L'épisode à Amsterdam est fort dans la confusion.Désordre des sentiments exprimés et des paroles échangées entre "Potter" et Boris.
Pessimisme et désespoir lucide.
Par contre,les dernières pages du livre sous forme de confession/réflexion/mise à distance de sa vie...sont touchantes et écrites dans un style remarquable.
Un extrait qui évoque le rapport si personnel que chacun entretient avec une oeuvre d'art:

"...Tu vois un tableau,j'en vois un autre,le livre d'art le place encore à un autre niveau,la dame qui achète la carte à la boutique du musée voit encore tout à fait autre chose,et je ne te parle pas des gens séparés de nous par le temps,quatre cents ans avant nous,quatre cents après notre disparition,cela ne frappera jamais quelqu'un de la même manière, pour la grande majorité des gens,cela ne les frappera jamais en profondeur du tout,mais un vraiment grand tableau est assez fluide pour se frayer un chemin dans l'esprit et le coeur sous toutes sortes d'angles différents,selon des modes uniques et particuliers.
A toi,à toi.J'ai été peint pour toi..."( p1081)

Voici un auto-portrait de ce peintre,Carel FABRITIUS (1622-1654)

                                      


                                               


              Quelle magnifique expression,mélange de charme et  de douceur !!
                                                         

lundi 9 mars 2015

DEVENIR SOI de Jacques ATTALI

                                                                                          

                              LIVRE 

Cet essai de moins de 200 pages doit être considéré comme un ouvrage de salubrité publique.Jacques Attali y exprime dans un langage simple,accessible à tous et toutes des choses essentielles.Chacun peut ,là tout de suite,prendre sa vie en mains,se responsabiliser, cesser d'être un assisté,un "résigné-réclamant".Chacun peut se choisir, se réaliser,réaliser ses rêves,avoir une bonne vie,intéressante,riche,rayonnante.
C'est à notre portée
Les conditions, le contexte de cette prise en mains sont explicités p.156.
Voici l'extrait qui permettra aussi d'appréhender le style vif,précis de l'écrivain.

  "[...] Il y faut en général un Evénement. Il peut s'agir d'un choc ou d'une évolution lente, d'un déclic ou d'une longue maturation, d'un conseil stimulant ou d'une contrainte intolérable, d'une grande abondance matérielle ou d'une extrême pauvreté, de la rencontre d'un maître ou d'une rupture avec une famille ou un milieu, d'une situation qui force à se prendre en main ou d'une routine étouffante, de la volonté d'être absolument soi-même ou d'une irrésistible envie de devenir autre, de la rencontre avec soi ou de la rencontre d'un Autre dont la présence suscite une rupture avec soi. L'Autre, condition si souvent nécessaire et suffisante du "devenir-soi"...
Mais l'Evénement, quel qu'il soit, en général ne suffit pas. Il faut (en particulier pour ceux aux yeux de qui le "devenir-soi" n'est pas une évidence) un moment d'isolement au moins sur le plan mental, une phase de silence, de concentration, de méditation - une Pause.
Pendant cette pause, il convient de parcourir un Chemin en cinq étapes, que voici :
1/ Comprendre les contraintes imposées à sa vie par la condition humaine, par les circonstances et par les autres.
2/ Se respecter et se faire respecter ; réaliser qu'on a droit à une belle et bonne vie, à du beau et du bon temps.
3/ Admettre sa solitude ; ne rien attendre des autres, même de ceux qu'on aime ou qui nous aiment ; et, grâce aux étapes précédentes, la vivre comme une source de bonheur.
4/ Prendre conscience que sa vie est unique, que nul n'est condamné à la médiocrité, que chacun a des dons spécifiques. Et qu'on peut même, au cours de sa vie, en mener plusieurs, simultanément ou successivement.
5/ On est alors enfin à même de se trouver, se choisir, prendre le pouvoir sur sa vie.
Au bout de ce chemin qui peut et doit être revisité plusieurs fois au cours d'une même existence, qui peut se parcourir en une heure ou en plusieurs années, on doit ressentir comme un arrachement, une désintoxication, une libération par rapport à sa dépendance antérieure, proche de ce que certains nomment "éblouissement" ou "pleine conscience", que j'appelle ici Renaissance.
[...] Alors je vous le dis : prenez-vous en main, libérez-vous des conformismes, des idéologies, des éthiques et des déterminismes de toute nature. N'attendez plus rien de personne. Ecoutez-vous. Ayez le courage d'agir. Rien ne justifie de se résigner, d'accepter les faits accomplis, de n'attendre que de l'autre la réponse à des difficultés personnelles. Et, en particulier, de l'attendre des puissants ou de l'Etat. La bonne vie est une vie où l'on se cherche sans cesse, où l'on se trouve mille fois successivement ou simultanément."

Cette 4ème partie du livre est la plus dense,la plus intense,la plus exigeante aussi.
Auparavant,l'écrivain multiplie les exemples de personnalités diverses et variées qui prenant leur vie en mains ont pu servir les autres,la société.

Lisez ce livre.Vous en ressortirez ragaillardis,grandis,plus optimistes, plus confiants dans votre capacité à changer,à vivre vos rêves,à vous réaliser pleinement comme être humain. 

                                


                                       
                   Voici une photo de Jacques Attali qui traduit bien sa personne.

dimanche 1 mars 2015

AMERICAN SNIPER de Clint Eastwood

                                
                                 

     FILM

Une constante des films de Clint Eastwood est  leur humanité.
L' 'humain dans toute sa fragilité, avec ses faiblesses, ses démons.
Rappelons-nous l'effondrement absolu du personnage de Tim Robbins dans "Mystic River" ou l'impossible choix de Meryl Streep dans "Sur la route de Madison".

Cette fois,c'est l'histoire d' un tireur d'élite, Chris Kyle (1974-2013) qui est portée à l'écran.
Pourtant , on échappe à l'ambiance plombée,suffocante,sans appel du film de guerre et cela grâce à l'Art, la magie du cinéaste.Clint Eastwood n'hésite pas ,dès le début du film à montrer les côtés moches, veules de son héros qui s'humanisera peu à peu.Les images du 11 septembre retransmises à la télé actionneront la fibre patriotique et le conduiront à s'engager sur le front irakien.Ensuite, les cas de conscience du sniper face à une cible humaine (une femme et son jeune fils / plus loin,un enfant qui pense s'emparer d'un lance-roquette...) se multiplient.Le soldat se double aussi d'un mari.La rencontre avec sa future épouse,le mariage,la vie conjugale,la naissance des enfants, tout cela nous est montré,renforçant le côté humain.Équilibrant aussi le film qui ne se limite pas à des scènes de guerre.
Sa femme le presse de revenir,de retrouver sa place d'époux et de père.
Il reste mutique à ses appels,il reste "absent" d'esprit lors de ses retours au pays.On le sent hanté par la "mission" qu'il s'est imposée.Il se bat pour eux, sa femme et ses enfants.
L'espèce de skizophrénie qui s'empare inévitablement du soldat , son mal être sont rendus subtilement dans quelques scènes courtes:on le voit prostré devant un écran de télé éteint ou dans un bar,incapable de rentrer"at home"...
Le vétéran trouvera finalement un sens nouveau,rédempteur à sa vie: aider ses compagnons  plus abîmés que lui par la guerre.
Sa fin tragique pose question.

                                        




 L'acteur Bradley Cooper est à ajouter au palmarès des choix judicieux de Clint Eastwood.