LIVRE
Delphine de Vigan s'intéresse à l'humain,à l'âme humaine,aux relations humaines dans ce qu'elles ont de plus intime,de plus singulier.
Ici,elle "met en scène" ( le court roman se prêterait aisément à une transposition théâtrale) trois personnages dont la figure centrale est Mickka,récemment placée en séniorie suite à une soudaine perte d'autonomie et des perturbations langagières.
Elle ne trouve plus ses mots,emploie un mot pour un autre ( on pense immanquablement à la pièce de Jean Tardieu:"Un mot pour un autre"),s'empêtre dans les phrases et ne parvient pas toujours à se faire comprendre.’
Une jeune voisine,Marie,lui rend visite,la stimule,l'encourage et les séances avec un orthophoniste bienveillant et compétent,Jérôme sont d'une grande utilité.
Mais ce sont surtout des liens humains qui se tissent,des liens de solidarité et de réciprocité,car Michka poussera Jérôme à renouer avec un père perdu de vue et elle éclairera Marie de conseils judicieux sur une possible maternité.Et elle aussi leur confiera un secret,voire une mission...car le temps lui est compté.
Si l'écrivaine voulait nous toucher,elle a atteint son but.On ne peut rester insensible à tant de bons sentiments,à une telle démonstration d'entraide et de gentillesse,mais n'est-ce pas "too much",ce monde de bisounours?
De plus,ces mots qui se télescopent et s'emmêlent pour Michka et ses interlocuteurs,ont le même effet sur le lecteur qui est parfois à la peine.
Une belle pirouette narrative est à relever dans les rencontres entre la directrice d'apparence si rude et autoritaire et Michka...TB.
LIVRE
Livre coup de cœur ❤❤❤
L'écrivain et critique littéraire publie un essai très original,très inspiré et fort bien documenté.
Il évoque treize mots intraduisibles ,rencontrés aux quatre coins du monde...
Treize mots savoureux,étranges qui tous renvoient à des réalités,des vécus,des sensations complexes,diffuses et chaque fois si riches.Nous en avions conscience de façon confuse,imprécise et ces mots désormais les identifient,leur confèrent des lettres de noblesse.
Ces mots ouvrent vraiment de nouveaux espaces,de nouvelles réalités.
J'ai retenu un mot inuit:Iktsuarpok..."la joie d'être bientôt joyeux",p58....le fait d'ouvrir sa porte et que peut-être quelqu'un approche...ou attendre,espérer l'imprévisible,mais pas quelque chose de défini,bien sûr...
Dans un récit énigmatique intitulé "La bête dans la jungle",Henri James présente un homme qui attend que quelque chose arrive...Arrivera-t-il quelque chose ou pas?
Buzzati dans "Le désert des tartares" a-t-il fait autre chose que concrétiser ce "Iktsuarpok"?
Un autre mot japonais,lui,m'a plu:Kintsugi.
C'est l'art de réparer,de glorifier les blessures,les cicatrices.
Le mot viendrait de l'histoire d'un serviteur qui ayant cassé le bol de son maître fut chargé de le recoller,mais il fallait qu'on vît la réparation,il fallait que la brisure apparaisse.
Nous aussi,êtres humains sommes des objets cassés,réparés...et nous apprenons à vivre avec ces blessures,elles font maintenant partie de nous.
Nous ne sommes plus des objets neufs...Chic alors.
Vous le constatez,ce livre fourmille de références littéraires,d'anecdotes,de citations aussi qui étayent le propos.En même temps,le style est léger,accessible,souvent drôle.
Jamais trop savant ou hermétique.
Ça se lit tranquillement en une après-midi,au soleil ou pas...
Voici la table des matières qui reprend les 13 mots nouveaux.
Voici aussi un lien vers l'entretien de l'écrivain sur tvTV5Monde...le 64'
https://culture.tv5monde.com/livres/et-si-certains-mots-allemands-ou-tcheques-rejoignaient-les-dictionnaires-francais-13735
FILM
Grand gagnant des Oscars 2019,le film
séduit un large public.
Et on peut comprendre cet engouement
pour un film sympa,consensuel,plein de bons sentiments.Le film a rencontré un vif succès aux États-Unis toujours prêts à se pardonner un racisme viscéral.
Il est donc agréable à regarder,servi par deux excellents acteurs, Viggo Mortensen et Mahershala Ali et filmé dans des espaces et décors évoquant les tableaux d'Edward Hopper:en effet,les tons vert pistache,bleu turquoise,caramel,abricot...inondent la toile."Années 60" oblige.
"Room in Brooklyn",Edward Hopper,1932.
En tournée dans les États du Sud,un célèbre pianiste noir et son chauffeur d'origine italienne apprennent à se connaître,à s'apprivoiser.
Tony,le blanc,inculte,impulsif,vulgaire va peu à peu "dégeler" Don Shirley,ce pianiste de jazz,si raffiné,si cultivé,limite snob et propre sur lui.Il va découvrir le plaisir de manger du poulet frit...avec les doigts,tandis que Tony améliore la prose des lettres qu'il envoie à son épouse restée à New York.
Ce duo fonctionne donc et nous avalons sans déplaisir les kilomètres parcourus...mais sans vrai enthousiasme non plus.Un sentiment de déjà vu,de politiquement correct...
Tant de films ont déjà traité ce thème du dépassement des préjugés,de l'accession aux valeurs de l'autre,de sa différence.
A voir en famille,assurément.
LIVRE
Un thriller psychologique bien mené qui alterne allègrement deux histoires,celles de deux jeunes femmes,Emma,la "fille d'avant" et Jane,l'actuelle.
Toutes les deux fragilisées par un drame de la vie, tombent à quelques années de distance sous le charme d'une maison tout à fait particulière,issue de l'imagination et de la créativité d'un architecte peu commun,maniaque à l'extrême qui soumet ses locataires à des règles aussi étranges que strictes.
Les futures locataires ont dû répondre à diverses questions sur des sujets personnels,elles ont accepté une organisation de vie très précise sur les plans du chauffage,sécurité,lumière,rangement,....Très peu d'objets sont tolérés,on vérifiera régulièrement leur mode de vie et en cas d'insatisfaction,elles risquent coupures de lumière,d'eau,de wifi...etc
Mais le charme que dégage l'habitation l'emporte sur la pression et le carcan de ce bail drastique.
Jane a perdu un enfant,mort-né à la naissance et espère se ressourcer et rebondir après cet accident de la vie.Très vite,elle retrouve des traces de la présence de l'autre locataire,Emma qu'on a retrouvée morte au bas de l'escalier dans des circonstances inexpliquées...
Elle était l'amante de l'architecte qui privilégie les relations courtes et intenses.Un architecte maniaque,exigent,assez manipulateur dont Jane à son tour s'amourache...
Suite dans le livre...
Un bon policier donc,bien construit,original,mais dont le dénouement ne m'a pas convaincue,car bien sûr Jane va s'interroger sur les circonstances du décès d'Emma,en suivant plusieurs pistes,en recontactant des personnes qui l'ont côtoyée...et là,le lecteur se fait bien balader,mais la réponse est très peu crédible.
C'est gros comme une maison!!!...et franchement on se dit: TOUT ÇA POUR ÇA.
FILM
Fervent défenseur de la cause noire,Spike Lee nous a habitués à des films nuancés,intelligents,menés de main de maître.
Le "Inside Man" sorti en 2006 respirait l'intelligence,une grande maîtrise de la technique cinématographique.Le thème de la prise d'otage,relativement fréquent y était traité d'une manière originale,tournant presqu'en dérision son sujet.La construction du récit était époustouflante,insérant les interrogatoires des otages avant même la fin de la prise d'otage.
Une réussite.
Cette fois,il nous propose un film militant,film à thèse dont le risque reste souvent la tendance à la démonstration.
Un policier blanc faisant partie d'une équipe mixte,moitié blanc/moitié noir est infiltré dans un groupe de blancs racistes proches du Ku Klux Klan...infiltration accompagnée et guidée par un policier noir qui prête sa voix au blanc.
L'intrigue est donc simple:un micro permet d'enregistrer les propos racistes et d'entamer une enquête.Mais la construction du récit se révèle quelque peu simpliste:on passe sans cesse du monde des blancs à celui des noirs,Black Power.
Les personnages,très bien interprétés par ailleurs sont un peu caricaturaux,ils manquent de densité et on n'est pas loin d'une vision fort manichéenne de la société:le blanc raciste, brute,limite débile face au noir imprégné de conscience militante et idéaliste.
Dommage,car les acteurs sont excellents et pas si bien servis par ce scénario finalement assez minimaliste.

LIVRE
On est rarement déçu quand on lit un Grisham.
Je termine le dernier publié, L'Informateur sur une impression très positive.
Une vraie montée en puissance couronne ce thriller judiciaire qui s'intéresse à la corruption de la justice américaine.
Une plainte a en effet été déposée à l'encontre de la juge Claudia McDover et un trio d'enquêteurs judiciaires renseigné par un énigmatique "informateur" se charge de récolter des preuves de ses activités douteuses.
Ils prennent des photos de rdv,décortiquent les verdicts de procès,installent un mouchard dans les voitures de suspects...car il s'agit d'une opération d'envergure qui va révéler une organisation mafieuse dont la plaque tournante est un casino situé en terres indiennes au nord de la Floride.Les plantureux bénéfices tombent en grande partie dans l'escarcelle de la juge et d'un complice.Blanchiment d'argent,pot de vin,investissements suspects...
Tout y est.Et aussi l'intervention tardive du FBI qui a bien sûr les moyens de sa politique!!!
Mais une enquête de cette ampleur n'est pas sans risques,il s'agit d'accumuler des preuves sans éveiller de soupçons.Très difficile,voire impossible.
Les enquêteurs et principalement l'avocate Lacy Stoltz vont l'apprendre à leurs dépens.
John Grisham sait donner une réelle densité à ses personnages,il prend le temps d'installer les faits,de tout expliquer et facilite l'accès à la compréhension du lecteur.
J'ai publié la critique d'un autre roman apprécié.En voici le lien.
"L'allée du sycomore"lu en 2018:
https://parlonscinebouquins.blogspot.com/2018/12/lallee-du-sycomore-de-john-grisham.html
"Le clandestin",excellent polar aussi qui se passe à Bologne où Grisham a vécu un an,lui qui est un amoureux de l'Italie.
LIVRE
La romancière américaine nous livre un récit très intime et lumineux sur les tribulations familiales.La première scène ,celle du baptême du dernier-né est aussi l'instant d'un coup de foudre qui va chambouler la vie de deux familles et de 6 enfants.
Divorce,déménagement à une autre extrémité des USA (Virginie vs Californie),interminables trajets en avion pour rejoindre la famille de l'autre parent...tout ça nous est conté avec minutie et humour.
C'est surtout la grande liberté de ton adoptée qui frappe.Surtout grande liberté dans la construction narrative.
Ann Patchett se permet de passer sans transition d'une époque à l'autre,donnant la parole à l'héroïne du récit,Franny devenue jeune fille,interrogeant les autres enfants sur les circonstances d'un drame qui s'est déroulé pendant cette enfance tumultueuse et qui a engendré son lot de culpabilité chez les enfants.
C'est en tout cas,ce que le lecteur découvre au fur et à mesure,les révélations venant par petits bouts,progressivement.
On l'aura compris:l'enfance,cette "enfance dont on ne guérit pas" a dit le philosophe ou le chanteur?,est au centre du roman,mais on suit aussi les parents dans leur vieillesse et jusqu'à leur mort.
Pour apprécier cette lecture,il faut accepter cette liberté de ton,ces changements d'époque,de point de vue...ne pas avoir peur d'être un peu désarçonné.